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Procès putsch manqué : “C’est une volonté de noyer un camarade politique” (Salifou Sawadogo)

 

Les auditions des témoins au procès du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015 se sont poursuivies hier 29 janvier 2019 dans la salle des Banquets de Ouaga 2000. A l’issue des questions et observations à l’endroit d’Alidou Sawadogo sur la somme d’un million de francs CFA remise au journaliste, Adama Ouédraogo dit Damiss, c’est Noël Sourwema qui s’est présenté à la barre pour dire ce qu’il sait des événements. Alors secrétaire général des structures du Kadiogo pour le compte du CDP, il dit avoir convoqué une rencontre à la demande de l’accusé Salifou Sawadogo ; ce que réfute ce dernier qui y voit plutôt une volonté manifeste de noyer un camarade politique.

 

 

 «J’ai suivi les développements, je ne vois aucun élément à charge que ce témoin peux apporter dans ce dossier. Il faut que le procureur militaire nous dise si cette  somme remise à mon client avait un quelconque rapport avec les événements. Adama Ouédraogo dit Damiss a expliqué, la remise du montant n’a pas été contestée. Le général Bassolet en a également parlé. Notre perception est que ce témoin du parquet est nécessairement un témoin à charge qui vient, soit pour accréditer la thèse du ministère public, soit pour la réfuter. Mais lui, il s’est déjà expliqué, il n’a pas apporté d’autres choses. C’est ce qu’il avait dit chez le juge d’instruction qu’il a répété». C’est la première observation qu’a fait remarquer Me Stéphane Ouédraogo, l’avocat de Damiss, lorsqu’il s’est agi de réagir suite à la déposition du témoin, Alidou Sawadogo. La deuxième observation, l’homme en robe noire ne sait pas «où on va depuis hier ?» (Ndlr : lundi). Dans sa compréhension, si le ministère public cite un témoin, c’est dans le sens de charger la personne qu’il poursuit pour avoir commis une infraction mais si ce même témoin décharge, ou disculpe, le mis en cause, c’est qu’il y a un problème. «Si c’était hors de la salle, nous on n’en rirait», a-t-il ajouté. Faisant, dans la foulée, le parallèle avec le procès de Laurent Gbagbo à la CPI, il a estimé que c’est au regard des témoignages qui n’apportent rien au dossier que l’ancien président ivoirien a fini par être acquitté. «Tout cela est symptomatique de la faiblesse des charges qui pèsent contre certains accusés, s’il n’y a rien, disons-le ! », a-t-il martelé.

 

En réplique, l’accusation a tonné qu’il est effectivement permis au parquet de déposer une liste de témoins qu’il souhaite faire entendre dans le cadre de la manifestation de la vérité mais de là à affirmer que ce sont des «témoins du parquet», c’est fort de café. Elle invoquera l’article 106 du Code de justice militaire qui lui en donne le droit mais ne fait nullement cas de l’expression «témoins du parquet ». Pour le ministère public, ces déductions du genre n’engagent que les personnes qui les tiennent. En sus, il a estimé que «les gens ont la mémoire courte et ne se rappellent pas tout ce qui a été dit concernant l’accusé ». «Hier, un accusé a utilisé un terme injurieux que je ne vais pas répéter. Mais, on vous a dit que pour de l’argent reçu, 1 million de francs CFA, on a fait une affaire d’Etat. Cet accusé n’est pas uniquement poursuivi sur la base de cette somme. Nous avons parlé de sa présence au camp Naaba Koom II, de la rédaction de la déclaration CND, du général Diendéré qui l’a cité comme faisant partie de ceux qui ont peaufiné cette déclaration. Mais on oublie tout cela », a déploré le parquetier.

 

 

 

«Bassolet m’a appelé dans la nuit du mercredi »

 

 

 

Du côté des avocats des parties civiles, Me Guy Hervé Kam, lui avait toujours des questions de précision à l’endroit d’Alidou Sawadogo : «est-ce que vous confirmez que le général Bassolet vous a appelé le 16 septembre 2015 ? ». «Oui, il m’a appelé le mercredi dans la nuit », a répondu le témoin. « De quoi avez-vous échangé ? », a poursuivi Me Kam. «Il m’a dit qu’il avait promis un million de francs CFA à Damiss », a fait savoir l’ancien chef de protocole du général. «Est-ce que vous vous souvenez avoir échangé avec Nicodème Bassolet le jour où vous avez été à la gendarmerie», a ajouté Me Kam. «Il m’a accompagné à la gendarmerie de Baskuy et on nous a dit de revenir le lendemain à 10h », a indiqué le sieur Sawadogo sans une autre forme de précision. Ce qui n’a pas empêché l’avocat de réitérer sa question: «le jour où vous avez été entendu à la gendarmerie, avez-vous parlé avec Nicodème ? ». « Je n’en ai pas souvenance », a signifié l’homme à la barre. Il permettait ainsi au conseil d’argumenter sur la justesse de la question qu’il venait de poser. «Le témoin se souvient avoir communiqué avec le général Bassolet le 16 septembre, mais le jour où il a été entendu, le jour où il a parlé avec Nicodème, il ne s’en souvient plus. Donc, une mémoire d’éléphant quand il a communiqué avec le général, mais une amnésie par rapport au deuxième fait qui a eu lieu en octobre. Pourquoi ? Parce que dans ces échanges, il s’inquiète que la gendarmerie de Boulmiougou lui ait dit de ne pas reconnaître qu’il a remis de l’argent à Ismaël Diendéré. Vous, vous dites, c’est compliqué de mentir, c’est mieux de dire la vérité si on ne veut pas compliquer les choses. Nicodème vous dit : faut dire que l’argent a été demandé par la maman d’Ismaël…. », a développé Me Kam.

 

Il n’en fallait pas plus pour que le témoin sorte de ses gonds, en déclarant qu’il n’a aucune intention de mentir et qu’on peut bien recevoir vingt appels téléphoniques au cours d’une journée mais ne retenir qu’un seul. «Je vous explique comment ça s’est passé, le document dont il parle, par rapport aux écoutes téléphoniques, je n’en sais rien. De ce qu’il raconte, je ne veux pas dire qu’il ment, j’ai peut-être dit que je ne me rappelle pas cet appel. Mais qu’on lise le document dans son entièreté, il ne faut pas prendre les parties qui nous arrangent. C’est le juge d’instruction qui l’a tiré de sa machine. Je ne me souviens pas de cette communication mais qu’on ne dise pas ce que je n’ai pas dit », a contre-attaqué Alidou Sawadogo, suscitant une autre réaction de Me Kam qui affirmera n’avoir jamais parlé d’un document écrit. «C’est un audio versé au dossier, je l’ai écouté hier nuit et encore ce matin, je ne parle pas d’écrits. On peut l’écouter si le tribunal le veut bien », a souhaité l’avocat. Il a eu l’assurance du juge Seidou Ouédraogo que les éléments sonores seront écoutés après l’audition des témoins.

 

 

 

« C’est Salifou Sawadogo qui m’a dit de convoquer la rencontre »

 

 

 

A la suite de l’ancien chef de protocole du général Djibrill Bassolet, c’est Noël Sourwema qui s’est positionné à la barre. Après avoir juré, la main droite levée, de parler sans haine, de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, le comparant a déclaré qu’il était au siège du CDP, dans l’après-midi du 16 septembre 2015 pour une réunion dont l’ordre de jour était la révision des listes de candidats aux élections car certains des militants, dont lui-même, ayant été frappé par l’exclusion. C’est en ces lieux que le Secrétaire général des structures du parti dans le Kadiogo, qu’il était, a entendu parler d’un coup d’Etat en cours et d’un couvre-feu. De retour à la maison, il dit avoir reçu un appel téléphonique de Salifou Sawadogo, l’instruisant de convoquer une rencontre le lendemain (ndlr : 17 septembre), au rond-point, monument aux héros nationaux, à Ouaga 2000. Il s’y est effectivement rendu entre 8h et 9h avec un autre militant du nom de Charles Niodogo puis a vu Salifou Sawadogo avant que celui-ci ne s’éclipse pour aller «faire un tour dans son quartier». «Entre-temps, il y a eu un différend entre des camarades et des passants (deux personnes qui tenaient des sachets d’eau et affirmaient qu’ils allaient libérer le président Kafando et Zida). Il y a eu des coups de poing et ça m’a heurté. Je me suis dit que si la rencontre pour une ‘’information importante’’ se résumait à cela, je n’avais plus ma place là-bas, j’ai préféré rentrer. Il m’a appelé puis j’ai expliqué les faits, il m’a dit qu’en tant que SG j’aurais dû attendre. Le 18 septembre, sachant ce qui m’est arrivé lors des événements des 30 et 31 octobre 2014 (domicile saccagé), j’ai déménagé chez l’un de mes fils à Karpala. Le camarade Salifou m’a intimé l’ordre de revenir. Ce que je n’ai pas fait. Il m’a rappelé qu’il a de l’argent à remettre aux camarades du parti pour la fête de Tabaski mais je suis resté à Karpala jusqu’au 24 septembre avant de rejoindre mon domicile. Le 28, on m’interpelle, on me garde pendant 4 jours, on me conduit chez le procureur du TGI, ensuite à la MACO pour être par la suite récupéré par le tribunal militaire. J’ai fait un an, deux ou trois semaines avant d’être relaxé », a narré Noël Sourwema qui dit avoir entendu parler du saccage du domicile de feu Salifou Diallo plus tard. Il n’a pas non plus été témoin de distribution d’argent au rond-point. Il a mentionné en outre qu’étant à la MACO, il a reçu la visite d’une délégation de députés du CDP et de Salifou Sawadogo. Ce dernier lui a «glissé » une enveloppe de 500 000 francs CFA que lui, il a répartis avec ses codétenus du même navire (une dizaine de personnes dont des maires). A sa libération, Salifou Sawadogo, venu à domicile pour l’encourager, lui a encore remis 200 000 francs CFA puis a cherché plus tard à savoir ce qu’il avait dit à la gendarmerie ou au tribunal militaire afin de «s’aligner sur mes propos».

 

 

 

«Je lui demande de dire la vérité, ce n’est pas juste»

 

 

 

Appelé à la barre, l’accusé Salifou Sawadogo a dit d’emblée relever plusieurs contrevérités en ce sens que la réunion du 16 septembre au siège du parti n’avait nullement été abordée par le témoin dans aucun des P.V le concernant. Ce serait lors d’une confrontation qu’il a finalement reconnu ce fait. Foi de Salifou Sawadogo la réunion en rapport avec la révision des listes avait eu lieu une dizaine de jours auparavant et il ne restait qu’à faire un compte rendu au Bureau national. Ce n’est pas vrai ce qu’il dit. Il dit que j’ai donné l’info du couvre-feu, même s’il s’est rattrapé par la suite, comme si j’étais au courant. Je lui demande de dire la vérité, ce n’est pas juste », a relevé celui qui était le coordonnateur chargé de superviser les activités dans le Kadiogo, étant tête de liste aux élections.

 

S’exprimant sur la fameuse convocation au rond-point, monument aux héros nationaux, il a réfuté les propos de Noël Sourwema et lui a attribué la paternité de cette initiative. «Le rassemblement du 17 septembre est du fait de Noël Sourwema », a martelé l’accusé. Pour les sommes d’argent, il a affirmé, la main sur le cœur n’avoir jamais voulu acheter la conscience de qui que ce soit. « Pour les 200 000 que je lui ai remis chez lui, c’était une contribution. Pour moi, il venait de sortir de prison et les camarades venaient le lendemain pour le saluer. C’était une contribution pour leur payer de l’eau, je suis ahuri que lui-même dise avec le parquet que ça peut être vu comme de l’argent utilisé pour payer son silence. J’espère qu’il aura l’occasion de me remettre cet argent », a signifié l’accusé.

 

 

 

La vérité selon Gomdaogo Amidou Nikièma

 

 

 

Dans l’après-midi du 29 janvier, Gomdaogo Hamidou Nikièma, un autre témoin, a indiqué qu’il avait voulu assister à la réunion des militants du CDP le 16 septembre, d’où serait partie l’initiative d’incendier et saccager des domiciles de certaines personnalités. Le témoin ne sachant pas manier la langue de Molière, son audition a dû être suspendue pendant quelques minutes le temps de trouver un interprète. Natif du département de Saaba,  Gomdaogo Hamidou Nikièma  avait été auparavant inculpé dans le cadre du dossier avant de bénéficier d’un non-lieu. Ce commerçant âgé de 61 ans a déballé ce qu’il sait des évènements, en présence de l’accusé Abdoul Karim Baguian dit Lota, indexé comme faisant partie des manifestants qui ont organisé les saccages.

 

«A la réunion où je me suis rendu dans l’idée de trouver le maire Josiane Kabré qui m’en avait informé la veille, j’ai plutôt trouvé une place bondée de manifestants. Ils parlaient d’aller brûler des domiciles », a fait savoir le témoin qui a précisé avoir interpellé l’un d’eux qu’il connaissait (ndlr : Abdoul Karim Baguian dit Lota) et lui avoir demandé d’abandonner l’idée des saccages car « brûler des maisons ce n’est pas bien ». Il a ajouté n’avoir pas longuement échangé avec l’intéressé et ne sait donc pas quelle a été sa réaction suite à l’invite qui lui a été faite.

 

Pour le ministère public, les déclarations du sieur Nikiéma à la gendarmerie et devant le juge ne corroborent pas avec sa déposition à la barre. Devant le juge d’instruction, il aurait fait noter que son invite n’a pas été suivie par l’accusé qui l’a fait savoir. Le commerçant avait même précisé que Lota avait clairement scandé en appelant au saccage.

 

«Est-ce qu’au moment des faits vous avez échangé avec un ancien député ?», a interrogé l’accusation. Elle a voulu  rappeler à l’homme à la barre que dans ses PV, lui-même a soutenu avoir été interpellé par un député au rond-point lui demandant d’intercéder auprès de Lota afin d’empêcher les saccages. Et le commerçant de répondre : « Comme les faits datent de longtemps je ne me souviens pas de cela ».

 

 

 

Le cas du témoin est édifiant

 

 

 

Appelé à la barre, Abdoul Karim Baguian a fait savoir qu’il n’entendait pas s’attarder sur les propos du témoin. Il s’est contenté d’attirer l’attention du président du tribunal sur le fait que le nombre de déclarations du sieur Nikièma qui ne concorde pas avec les siennes ont été faites au moment où celui-ci était encore inculpé, estimant que c’était aux juges d’apprécier.

 

Son conseil, Me Abdoul Latif Dabo entrera en scène : «Monsieur le président, nous n’allons pas trop nous ennuyer, le cas de ce témoin est édifiant bien qu’analphabète ». Et de poursuivre que : « lorsqu’on se réfère à ses PV devant le juge d’instruction et à la gendarmerie, nous constatons qu’on lui attribue des propos qui ne sont pas les siens. La preuve est qu’il ne les reconnaît pas. A votre barre, le témoin dit qu’il n’a pas entendu un député l’appeler et lui demander de calmer Lota. Il dit qu’il n’a pas entendu Lota crié au saccage. Il dit encore qu’il ne sait si le sieur Baguian est finalement allé brûler des maisons ou pas. Ce que nous voulons que vous reteniez, ce sont les déclarations à la barre du témoin et non celles faites devant le juge ou à la gendarmerie où il avait la qualité d’inculpé».  

 

Alors que le parquet avait plus tôt demandé au témoin son avis sur la participation ou non de Lota aux saccages et incendies, l’homme en robe noire a estimé que cette question n’est pas recevable en l’espèce, arguant que la seule chose qui doit compter, c’est ce que le témoin a vu et entendu.

 

Pour les parties civiles, il n’était visiblement pas question de passer sous silence les contradictions. Me Awa Sawadogo est revenue sur les échanges du témoin avec l’accusé. «On tente de me faire changer de version », s’offusquera finalement Amidou Nikièma non sans dire sa stupéfaction sur les déclarations contenues dans ses PV.

 

L’audience se poursuit ce mercredi matin à 9 heures.

 

 

 

San Evariste Barro

 

Aboubacar Dermé

 

Bernard Kaboré

 

 

 

Encadré

 

« Faites noter que le témoin a une haine contre mon client »

 

 

 

Conviction de l’ex-député Salifou Sawadogo, le témoignage à la barre du retraité Noël Sourwèma s’est résumé en une volonté de « noyer un camarade politique. » Dans sa déposition, le sieur Sourwèma  a en effet indiqué que s’il s’est retrouvé à un moment en prison, c’est du fait de son camarade Salifou Sawadogo.

 

A écouter le témoin, il a été  inculpé sur la base de la convocation au monument aux Héros nationaux qu’il a adressée aux militants lors des évènements, convocation qui, selon ses dires, a pourtant été ordonnée par l’ancien député. Dans la foulée, le témoin a fait savoir que lorsqu’il a été relaxé et qu’à un certain moment  son ‘’bourreau’’ a cherché à le voir, avant d’en être dissuadé par famille qui lui a expliqué que Salifou pouvait être «la cause d’un autre malheur».

 

Me Hamidou Sawadogo, conseil du mis en cause, après s’être rassuré que le témoin maintient ses déclarations, a demandé au président de faire noter dans le plumitif que l’auteur du témoignage a une haine contre son client, ce qui est contraire au serment. L’accusé quant à lui fera cette adresse : « j’ai appris à la barre que je n’étais pas le bienvenu dans la famille Sourwema. Je comprends maintenant son entendement selon lequel j’ai été à la base de son emprisonnement. C’est tout trouvé, je comprends pourquoi il m’accuse ».

 

 

 

B.K.

 

 

 

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