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Ecoutes téléphoniques : « Je risque la peine maximale »(Gilbert Diendéré)

Les éléments sonores issus des écoutes téléphoniques continuent de dévoiler certains secrets du putsch manqué du 16 septembre 2015. A l’audience du 29 mars 2019, la tripotée d’enregistrements diffusée dans la salle de conférences de Ouaga 2000, transformée en tribunal militaire, accable plusieurs personnes dont certaines ne sont pas dans le box des accusés. Dans un audio attribué au couple Diendéré, on entend Gilbert dire à Fatoumata qu’il risque la peine maximale.

 

 

Le 30 septembre 2015, à 18h 53, alors que l’étau se resserrait autour du cerveau présumé du coup d’Etat, celui-ci, réfugié à la nonciature apostolique, fait téléphoniquement part à son épouse de ce que la CEDEAO l’a laissé tomber. « Je pensais que les chefs d’Etat de la CEDEAO allaient réagir. Mais ils ne disent absolument rien. Ils m’ont complètement laissé tomber. Je vais affronter la justice, on va être condamné », a-t-il lâché, affligé. Son épouse, ex-députée, lui promet d’essayer de le tirer d’affaire.

 

Quand elle cherche à connaître la peine que son mari risque, celui-ci lui confie qu’il plane sur sa tête la peine maximale. « Quand c’est comme ça, c’est la peine maximale », soutient-il. Cette déclaration est suivie d’un long silence des deux interlocuteurs.

 

Le parquet militaire, après la diffusion de ces enregistrements audio, fera remarquer que le cerveau présumé du putsch est conscient de la gravité de son acte, c’est pourquoi il s’est prédit la peine maximale. Pour le ministère public, Diendéré facilite ainsi la tâche au président du tribunal. « C’est lui-même qui propose cette peine. Ce qui veut dire qu’objectivement, lui-même, conscient des faits commis, sait que c’est cette peine qu’il mérite. Monsieur le président du tribunal, n’oubliez pas cet aspect quand vous entrerez en délibération », a relevé le parquet militaire, qui trouve aussi paradoxal qu’il se soit fixé une telle peine, alors qu’à une des audiences ici, il a prétendu « n’avoir ni commandité, ni planifié, ni organisé, ni exécuté ce que d’aucuns appellent coup d’Etat. »

 

Appelé à réagir aux audio et aux observations du parquet militaire, Diendéré dit préférer « laisser les observations du parquet au parquet. »  Rien de plus. Les avocats de la défense, peu nombreux à cette étape de la procédure mais toujours fidèles à leur théorie selon laquelle les enregistrements ont été traficotés et n’ont « ni père ni mère », ont une fois de plus réaffirmé qu’il n’y avait pas d’éléments qui permettent de rattacher telle voix à tel individu.

 

 La lecture des enregistrements s’est poursuivie par les appels téléphoniques interceptés dans la nuit du 30 septembre 2015.

 

Ce jour-là, à 21h 33, alors que le cerveau présumé du coup d’Etat était toujours dans les locaux de la nonciature, où il avait trouvé refuge, Ismaël Diendéré, dans une communication téléphonique, dissuade son père de se rendre à la gendarmerie. Lorsque son paternel lui demande les raisons, il répond : «Il faut attendre. On est en train de passer des appels pour que d’ici demain ou après-demain on te fasse sortir de là.» Tandis que le papa, pessimiste, rétorque que la démarche ne marchera pas, le fils, lui, est foncièrement convaincu que ce qui est en train de se ficeler sera couronné de réussite. 

 

« On fait notre possible », a rassuré Ismaël, promettant de rappeler son père dès qu’il y aurait quelque chose. Ces premiers échanges ont pris fin par le conseil du général Diendéré qui dit à son fils de se mettre à l’abri. Leur conversation s’est poursuivie le lendemain.

 

Le 1er octobre, à 14h 44 minutes, le géniteur informe son rejeton qu’il est en train de se rendre à la gendarmerie. Ismaël tente de l’en dissuader, lui demandant si maman (NDLR : Fatoumata Diendéré) est au courant. Le daron lui fait comprendre qu’il ne peut plus attendre, car « ils sont venus taper à sa porte pour lui dire de sortir ». Le fils pousse un long soupir. Puis il tente de nouveau de dissuader son père, avançant l’argument que sa génitrice lui a envoyé un message l’informant que « ça va marcher. » Mais Golf ne croit toujours pas à une solution miracle. « Ça va marcher, ça va marcher. Ça ne marchera pas », se refuse-t-il à croire. Ismaël Diendéré n’est pas pour autant découragé. Il sort un autre argument pour convaincre le papa de rester à la nonciature.

 

« C’est parce qu’ils savent que ça va marcher qu’ils sont en train de te mettre la pression ». Aussitôt, on entend une voix féminine, celle de Fatoumata Thérèse Diawara, selon le parquet, qui dit que le président Faure Gnassingbé vient d’appeler son homologue burkinabè et que Michel Kafando a prévenu le PM Yacouba Isaac Zida. « Tonton, pour une dernière fois, il faut écouter. Tu es dans ce boulot il y a longtemps, tu n’as jamais cédé. Pourquoi c’est maintenant tu veux céder (...) Sois patient, c’est aujourd’hui que Faure est rentré de New York. Il va travailler. Dans une semaine, on va te libérer. Toi, si on te prend, on va te liquider », a prévenu sa belle-fille.

 

Bien avant ces différentes communications téléphoniques, d’autres échanges ont eu lieu. Ainsi, l’audio du 29 septembre 2015 à 22h 05 met en relation Golf avec un numéro qui, selon le parquet, est celui d’Hippolyte Diendéré. Dans cet audio, le père spirituel du RSP signifie à celui qui est à l’autre bout du fil que cette fois-ci les choses ont très mal tourné et que le camp a été pilonné à l’artillerie lourde. L’interlocuteur a du mal à croire à ce qu’il vient d’entendre. « Pourtant on n’a rien entendu comme coup de feu ! », a répondu Hippolyte pour marquer son étonnement. Et de poursuivre que les Burkinabè seront déçus quand ils verront que l’armée a fait pleuvoir le feu sur le camp Naaba Koom II. « Quand les gens verront les photos demain, ils sauront que ce sont de vrais criminels. Les Burkinabè seront vraiment déçus », a-t-il prophétisé.

 

Quand il dit à Gilbert Diendéré qu’il croyait que ce sont les faux chars qu’ils utilisent qui ont été mis à profit pour bombarder les lieux, le général rectifie en soutenant que c’est de l’artillerie lourde. Dans la suite de la conversation, Hippolyte demande à son frangin s’il n’est pas possible pour lui de quitter le Burkina. « Je n’ai pas voulu quitter le pays pour qu’ils disent que j’ai fui », a réagi le général. Son frère pense qu’il n’a pas tort car s’il se soustrait à la justice de son pays, un mandat d’arrêt international sera lancé contre lui.

 

San Evariste Barro

Hadepté Da

 

Encadré 1

Tentative de rébellion mort-née à Pô et au Bazèga

 

« La colombe et le soldat » : c’est ainsi que le prêtre qui a célébré leur mariage avait qualifié Fatoumata et Gilbert Diendéré.

Les écoutes téléphoniques révèlent que le couple a voulu fomenter une rébellion qui allait être basée dans les provinces du Bazèga et du Nahouri. C’est du moins ce que révèle une communication du 26 septembre (18 heures 19 minutes) attribuée au couple qui était à la recherche d’hommes. Dans la conversation diffusée, Dame Fatoumata dit à son mari : « Nous allons demander au chef de Pô s’il a des contacts et tu vas lui demander aussi ». Le général, après avoir mentionné qu’« on va voir la faisabilité », ajoute que « ce qui peut poser problème, c’est la logistique».

La « Colombe » qui, depuis le putsch, s’est envolée vers d’autres cieux, s’agace. « J’ai peur même de te parler. Quand je te parle je deviens plus malade. » Le « soldat » aux multiples casquettes (ancien chef d’état-major particulier de la présidence, ancien patron des services de renseignements, etc.) essaie de calmer sa femme en invoquant son expérience en la matière : « Je te donne mes appréhensions. Je suis sur le terrain, je vois comment les choses se passent (...) Ne t’affole pas !» Cet argumentaire semble avoir fait mouche auprès de l’ex-députée. « Si c’est comme ça, on va laisser quand vous finirez de réfléchir », concède-t-elle.

Le lendemain à 1h du matin, elle retéléphone et dit à son mari qu’étant donné qu’il n’est plus sûr de réunir ses éléments, il serait préférable « qu’on se cherche. » Gilbert Diendéré souscrit à cette idée en disant à sa femme d’y penser. 

Dans un autre échange, Fatoumata Diendéré, qui dit être à 5 minutes de l’ambassade de France, souhaite que son fils Ismaël l’y rejoigne afin qu’ils se rendent ensemble dans l’enclave diplomatique en espérant qu’on leur ouvre la porte. L’idée étant qu’ils soient exfiltrés. Dans la communication attribuée au couple, l’interlocutrice a aussi souhaité quitter le pays avec le capitaine Abdoulaye Dao.

En rappel, Fatoumata Diendéré/Diallo est poursuivie dans le procès du Coup d’Etat de septembre 2015 pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtres et coups et blessures volontaires.

 

H.D.

 

Encadré 2

« Ils ont dit de te dire de manger et dormir tranquille »

 

Le 1er octobre, faut-il le rappeler, Gilbert Diendéré était encore à la nonciature. A 12h 56, selon les enregistrements, il a reçu un coup de fil qui tentait de le dissuader de se rendre à la gendarmerie. Fatoumata Thérèse Diawara serait l’autre personne au bout du fil.

« J’ai eu des garanties qui sont bonnes », communique-t­-elle, assurant au général que si ce n'est pas lui qui se laisse sortir de la nonciature, il est impossible qu’on l’y oblige. « On a des garanties », précise la belle-fille de Golf. Diendéré ayant voulu savoir de qui elle tenait ses garanties, l’interlocutrice lui a rétorqué qu’elle ne pouvait pas dire ça au téléphone. « Ils ont dit de te dire de manger et dormir tranquille », conclut-elle, optimiste.

 

H.D.

 

Encadré 3

« Je vais mourir derrière le général »

 

Dans la longue liste d’appels interceptés, figure celui de Sidi Lamine Oumar du Mouvement arabe de l’Azawad.  Selon les enregistrements, le sociologue malien a conversé avec Gilbert Diendéré le 27 septembre à 21h 00. « Karim (le colonel Abdoul Karim Traoré, selon le parquet militaire) m’a appelé aujourd’hui dire qu’il faut que je quitte le pays, le temps que la situation se calme. Je lui ai dit sortir aller où ? Je ne suis pas un lâche, je vais mourir derrière vous. Ce n’est pas parce que vous êtes dans une situation difficile que je vais vous abandonner », a-t-il argué.

 

H.D.

 

Encadré 4

Soro, Diendéré et le marabout

 

L’ancien président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire s’est mué en consultant marabout lors du coup d’Etat manqué afin d’offrir à Diendéré une bouée de sauvetage. L’ex-rebelle ivoirien dicte à Diendéré des versets qu’il doit réciter afin que le « sacrifice de l’œuf de poulet africain » réussisse.Soro lui conseille de prendre l’œuf de poulet africain et de se frotter le corps avec. Ensuite, il doit psalmodier la formule suivante : « Moi, Diendéré, je suis dans une cause qui est juste. Je défends mon peuple burkinabè et mes jeunes qui m’ont suivi. Qu’aucun de ces jeunes ne puisse me trahir.  Que tu (NDLR : l’œuf) me protèges et protèges mes jeunes combattants de la confrontation à venir pour la victoire. » Et tu jettes l’œuf. C’est tout. Faut faire ça maintenant, mon général », lui a conseillé Soro.

A l’autre bout du fil, le père spirituel du RSP acquiesçait par des réponses monosyllabiques du genre : « Oui oui, Ok ! d’accord.»

La consultation ne s’arrête pas là.

Soro, dans un autre enregistrement, fait aussi savoir à Gilbert Diendéré qu’il a déjà acheté depuis plusieurs jours un cheval et un chameau à son nom. Et que celui à qui il a « confié le dossier dit de se tranquilliser. Car, a poursuivi l’interlocuteur ivoirien, « il dit que nous-mêmes, façon on pense que ça va être grave là, ça ne sera pas grave comme ça. »

Selon ce qu’on entend dans la communication, le marabout de l’ancien PAN soutient qu’il y aura une transition, mais pas avec les mêmes acteurs. « Ça sera un autre type de Transition », prédit-il, mal inspiré.

Dans cette même communication, le marabout prophétise que la principale figure du putsch sera président du Faso. «Je sais que tu ne crois pas actuellement. Moi-même je lui ai dit que je ne crois pas. Mais Toi Diendéré, tu seras président du Burkina».

Mais, Soro n’est pas qu’un bon Samaritain. Il espère sa part du gâteau, lorsque Golf accédera à Kosyam. « Le jour où tu seras président du Burkina, si tu m’oublies c’est là que palabre va commencer », a prévenu l’ancien rebelle, l’air taquin. En guise de réponse, Gilbert Diendéré déclare souriant : « Que Dieu nous entende seulement, le reste on verra après ».

 

H.D.

 

Encadré 5

La Cour de justice de la CEDEAO déboute Bassolé

 

Le général Djibril Bassolé avait saisi la Cour de justice de la CEDEAO afin de faire retirer du dossier les pièces des écoutes téléphoniques. Pour lui, ces éléments sonores violent sa vie privée. A l’audience du 29 mars, l’avocat de la partie civile, Guy Hervé Kam, a lu un extrait de la décision rendue qui déboute le premier général de gendarmerie du Burkina Faso. La Haute Cour de justice rappelle que la pratique des écoutes téléphoniques est illégale lorsqu’on prouve que celles-ci affectent sérieusement le droit du demandeur.

 

H.D.

Dernière modification lelundi, 01 avril 2019 23:39

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