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Procès putsch : « Ces vidéos sont un film d’horreur » (Me Prosper Farama)

Après la diffusion de plusieurs vidéos à l’audience de mardi dernier, les différentes parties ont pu les commenter hier, mercredi 3 avril 2019. « C’est le film de l’horreur » a notamment estimé Me Prosper Farama de la partie civile.

 

 

L’une des vidéos diffusées a été tournée par le fils du général Gilbert Diendéré, Ismaël. On y voit le nouvel homme fort du pays arriver à son domicile. Son fiston qui est derrière la caméra s’écrie : « C’est historique, il faut que je filme. Mon papa Président du Faso ! » Dans une autre séquence filmée au salon cette fois-ci, on aperçoit le général en tenue d’apparat entouré notamment de son épouse, Fatou Diendéré, et de deux personnalités du CDP, Salifou Sawadogo et Michel Ouédraogo. L’ambiance est des plus joviales. Cette dernière scène, selon le parquet, aurait été tournée dans la nuit du 16 au 17 septembre 2015 (cela sera contredit par la suite) et serait la preuve que dès les premiers instants du coup d’Etat, des personnalités sont allées « prêter allégeance » au président du CND. Chose qui confirme ce que le parquet a toujours avancé : la connexion entre militaires et politiques dans le putsch est réelle. Ces images issues de l’intimité familiale, a encore soutenu l’accusation, lèvent tout doute sur celui qui a commandité, planifié le coup d’Etat.

Dans une autre vidéo rendue publique, le directeur de la Radio Laafi de Zorgho qui a été incendiée par des éléments de l’ex-RSP livre son témoignage. On apprend avec lui que parmi le commando de pyromanes figurait une femme. Cette dame, à en croire le procureur militaire, n’est autre que Minata Guelwaré, qui avait pourtant soutenu n’avoir pas mis les pieds à Zorgho ce jour-là.

S’intéressant cette fois aux communiqués du CND lus par le médecin lieutenant-colonel Mamadou Bamba, le parquet a noté qu’il y a eu « des ratés dans la lecture des déclarations », preuve que « la mascotte du putsch » ne participait pas à la rédaction des textes et se contentait de les lire sans s’être véritablement préparé, comme il l’avait affirmé lors de son passage à la barre.

Après ces observations de la partie accusatrice, le président du tribunal a invité plusieurs accusés à se prononcer sur la flopée d’images diffusées la veille. Le soldat de 2e classe Seydou Soulama a été en premier interrogé sur un élément en rapport avec la destruction, suite à un tir de roquette, du studio de l’artiste musicien, par ailleurs membre du Balai citoyen, Serges Bambara alias Smockey. « J’ai suivi les vidéos mais je n’ai vu aucune image qui montre que j’étais dans le studio de Smockey. Je n’étais même pas dans le quartier, et je n’ai pas tiré de roquette », a balayé d’un revers de main le soldat de 2e classe.

Le Sergent-chef Laoko Mohamed Zerbo, soupçonné lui aussi d’avoir participé à cette expédition punitive, a adopté la même attitude de dénégation, indiquant ne pas être sur les images et que de surcroît, aucun de tous ceux qui étaient sur les lieux du crime ne l’a formellement identifié.

Le sergent-chef Ali Sanou dont le nom est cité dans l’autodafé de la radio Laafi réfute lui aussi toute responsabilité. « C’est vrai que j’ai été là-bas, je suis entré dans la cour mais pas dans la maison. C’est étranger pour moi, je ne sais pas comment ça s’est passé », a fait savoir l’accusé.

Interpellée à son tour sur l’épisode de Zorgho, Minata Guelwaré a déclaré en guise de réponse au ministère public : « Le monsieur en question (Ndlr : le directeur de la radio)  a dit une dame, il n’a pas dit Guelwaré Minata. Je voudrais dire au parquet que je ne suis pas la seule femme au Burkina ».

Le sergent-chef Roger Koussoubé dit le Touareg et le sergent-chef Mahamadou Bouda qui ont été immortalisés par une caméra de surveillance lors de l’interruption des émetteurs de la radio Savane FM n’ont pas souhaité, quant à eux, faire d’observations.

 

« C’est sous la culotte que le coup a été porté »

 

Au parquet qui lui demandait si la vidéo filmée à son domicile était authentique, le cerveau présumé du putsch de septembre 2015 a déclaré qu’il ne lui appartenait pas de se prononcer sur cette question vu que c’est l’accusation elle-même qui a produit ces pièces. Alors que le parquet datait les vidéos dans la nuit du 16 au 17 septembre 2015, Golf a informé que la tenue qu’il arborait, il l’a portée du 18 au 20 septembre. La première fois, a-t-il précisé, c’était pour accueillir les chefs d’Etat de la CEDEAO venus participer à la résolution de la crise qui s’était nouée.

A la demande de Me Farama, les techniciens en charge de la projection préciseront plus tard que la vidéo a été tournée le 19 septembre 2015 peu après 9 heures.

Saisissant la balle au bond, Me Olivier Yelkouni affirmera qu’à cette date, tous les Burkinabè savaient que le général Gilbert Diendéré était le président du CND. Cette vidéo, à l’entendre, « n’apporte rien à la procédure en matière de preuves ». L’avocat a  dénoncé par ailleurs la diffusion de cette vidéo étant donné que le parquet avait, avant la présentation des éléments sonores et vidéo, promis de ne pas exposer la vie privée des accusés. « Le parquet répète tout le temps qu’il n’aime pas donner des coups en dessous de la ceinture, mais là,  c’est sous la culotte que le coup a été porté », a-t-il regretté.

« Soyez rassuré que notre intention n’était pas d’exposer la vie privée du général», réagira l’accusation qui dit avoir juste voulu montrer la présence de personnalités politiques au domicile de Golf.

Me Pierre Yanogo, le premier conseil de la partie civile à prendre la parole, a mis l’accent sur la violence des scènes qui ont été filmées dans les rues de Ouagadougou pendant les heures chaudes du putsch avec ces manifestants bastonnés et ces corps gisant au sol. « On a maintenant une idée de ce que sont le maintien de l’ordre et le contrôle de zone au RSP », a-t-il raillé. Son confrère Me Guy Hervé Kam a regretté que certains accusés persistent dans la négation des faits et dans « le mépris » parce que tout simplement ils ne se sont pas vus dans les vidéos. « Comment le mépris peut appeler le pardon ? », s’est-il demandé.

 

« Les escadrons de la terreur »

 

Avant tout propos, Me Prosper Farama a rendu hommage à certains accusés pour « leur humilité, leur humanité tout court, pour avoir reconnu leur tort ». Tout le contraire d’autres qui « quand bien même l’affaire se reproduirait dix mille fois, reproduiraient dix mille fois leurs actes ». Après avoir indiqué que les images étaient pleines d’enseignements sur le plan du droit, il a qualifié leur diffusion de « jour le plus sombre de tout le procès ». « C’est le film de l’horreur », a-t-il ajouté, confiant avoir mal dormi après l’avoir visualisé. Commentant les propos d’un des manifestants qui, dans une des vidéos, affirmait considérer les soldats du RSP comme des « terroristes », Me Farama a rappelé avoir lui-même déjà employé à la barre ce mot, pensant néanmoins qu’il était fort. Et lorsqu’il l’a aussi entendu de la bouche d’un des croquants, il a compris qu’il n’avait pas exagéré. « Ceux qui ont dit qu’il fallait maintenir ce corps se sont trompés », a jugé l’avocat. Pour lui, les patrouilles de l’ex-garde prétorienne de Blaise Compaoré pendant les événements si ce ne sont pas des « escadrons de la mort » étaient, au moins, des « escadrons de la terreur ». « Comment on peut aller maintenir l’ordre en cagoule si ce n’est pas parce qu’on veut faire des choses qui ne sont pas bien ? », a-t-il lancé, avant de faire référence à la bonne ambiance qui régnait chez les Diendéré quand ils croyaient le coup d’Etat consommé : « Toutes ces motos brûlées, tous ces blessés, tous ces morts  pour ça. Pour que son fils, ses proches, puissent se sentir dans une famille de président. Qu’advient-il à un fils si son papa n’est plus président un jour ? Qu’advient-il à une épouse si son mari n’est plus président d’un jour ? Qu’advient-il si un père perd son fils ? »

Du côté de la défense, on dit aussi avoir ressenti la même chose que les autres parties à la vue des images parfois insoutenables. Mais pour Me Mahamadi Sawadogo, avocat du soldat Seydou Soulama, il faut aller au-delà des vidéos  pour dire qui sont les auteurs de ces exactions  et qui en sont responsables. Son client, a-t-il à nouveau expliqué,  durant le coup d’Etat, avait uniquement pour rôle de sécuriser des périmètres précis. Rien de plus.

Le conseil d’Ali Sanou, Me Régis Bonkoungou, a, lui, estimé que les violences n’étaient pas issues d’un seul camp. Les manifestants ayant été aussi violents, a-t-il avancé.

Me Alexandre Sandwidi, qui défend notamment Le Touareg, a critiqué à ce propos « la diabolisation du RSP ». « Les vidéos n’apportent rien d’exceptionnel et de nouveau par rapport à ce que les PV ont révélé. Il n’y a pas de quoi émouvoir le public avec des déclarations dignes de prêches dans une mosquée ou d’homélies dans une église », a-t-il dit en réponse à Me Farama qui, dans son intervention, a fait référence à la « conscience» et à la « justice divine ».

L’audience reprend demain vendredi 5 avril 2019 à 9 heures avec les commentaires des différentes parties sur une vidéo d’une heure cinq minutes dénommée « Film putsch ».

 

San Evariste Barro

Hugues Richard Sama

 

Encadré

« Les ralentisseurs » qui mettent en colère le parquet

 

Au cours de l’audience, Me Lassané Daboné a fait savoir que la vidéo de Savane FM n’avait pas été communiquée à la défense avant sa diffusion par le parquet, elle ne se trouvait pas en effet dans la liste des scellés. Toute chose qui ne respecte pas, selon lui, le principe du contradictoire. Il a donc produit une exception en vue du retrait de l’élément. Une exception que le tribunal a jointe au fond.

Mais avant, cette attitude n’a pas été appréciée par les autres acteurs du procès qui ne vont pas s’embarrasser pour le faire savoir. Pour le parquet, se basant sur l’article 427 du Code de procédure pénale, l’essentiel est que les preuves soient discutées contradictoirement. De plus, l’élément vidéo produit n’est pas un scellé, mais est une pièce amenée par l’une des parties civiles, en l’occurrence la société Savane FM pour justifier sa requête.

« On est maintenant habitué aux ralentisseurs dans ce procès. Cette question est désuète », a coupé court Me Awa Sawadogo, conseil des parties civiles.

Me Pierre Yanogo, lui, ne comprend pas que ce soit seulement après que la vidéo ait été projetée et discutée, y compris par les accusés eux-mêmes, que Me Daboné sorte cette exception, qui n’en est pas une, a estimé, pour sa part, Me Hervé Kam. Il dénonce l’attitude de ces avocats qui « viennent quand ils veulent, font leur show et repartent ».

« A cette allure, nous allons faire quatre ans ici », a aussi critiqué le ministère public qui s’en prend aussi aux conseils absentéistes, qui ont toujours un train de retard alors que le sujet a déjà été discuté. Visiblement exaspéré, il a dit comprendre certains puisqu’« ils ont pris des honoraires qu’ils doivent justifier », promettant de toucher deux mots au bâtonnier au sujet des conseils qui font l’école buissonnière.

Des propos de l’accusation qui ont tout aussi révulsé les Hommes en robes noires sans distinctions. A la reprise à 14h, ils l’ont fait savoir par la voix de Me Prosper Farama qui estime que ces déclarations étaient « malvenues et mal accueillies ».

Finalement chacune des parties a présenté des excuses à l’autre, mettant fin « avec beaucoup de sagesse », comme l’a relevé le président du tribunal, à cet incident.

 

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