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Débat : Le jour où Roger Tall a «osé» dire que le CNR était une dictature (1)

12 mars 2019, cela fait bientôt un mois que Dr Moussa Roger Tall nous a quittés. En guise d’hommage à l’illustre disparu, Henri Prosper Ky, responsable à l’information de la Coordination du mouvement du manifeste pour la liberté, a donné un témoignage dont notre rédaction a eu une copie. C’était à la veille de la présentation du premier tome des mémoires du regretté le 6 avril dernier au Conseil burkinabè des chargeurs (CBC).

 

Je hais les cimetières et les enterrements. Mais je m’en accommode de plus en plus. C’est à cela peut-être que l’on reconnaît que l’on est en train de passer de l’autre côté du miroir, celui où vous êtes plus souvent appelé tonton par des nièces et des neveux que vous ne connaissez pas et que vous devez sur-le-champ, les adopter par civilité. Ce serait cela le privilège de l’âge en Afrique.

Le docteur Moussa Roger Tall repose désormais en paix au cimetière municipal de Gounghin. Il nous a quittés le mardi 12 mars 2019 au seuil de sa 83e année puisqu’il est né le 15 décembre 1936.  Nous ne reverrons plus sa «blanche» silhouette vénérable dans nos assemblées. Parler des morts est un désir d’avoir du pouvoir  sur la mort, c’est un hommage à la vie.

 

Je dirais quelques mots, sur la vie du Dr Moussa Roger Tall ; ce qu’il a été pour moi et ce que j’ai appris de lui. C’est un devoir qui s’impose à moi.  Les Anglais disent en parlant de l’hommage «to pay tribute to». Cela exprime le sens que l’hommage avait entre le vassal et le suzerain. Quand vous avez l’honneur de partager des moments de vie avec un homme, ne pas marquer le respect, saluer avec révérence une vie comme celle du Dr Moussa Roger Tall, qu’il a qualifiée lui-même de merveilleuse aventure, c’est une indignité sociale, qui montre l’absence de reconnaissance de la dette morale. Témoigner c’est aussi bâtir des ponts avec l’avenir dans le sens d’être fidèle à la leçon de vie et de la transmettre. L’hommage est très connu dans les traditions africaines, dans les rites de séparation que les observateurs pressés prennent pour une célébration de la mort, or il ne s’agit que de grande messe de la vie. Chez les san le « dṍn pè et le zo diè »  sont des hommages qui disent de l’homme ses hauts faits de gloire et le respect et les remerciements de celui qui paye le tribut.

J’ai connu le Dr Moussa Roger Tall lors de l’installation de la Coordination du mouvement du manifeste pour la liberté. Il est élu secrétaire à l’organisation en 2005 puis  président du comité d’orientation.

 

Je vais ici retenir deux leçons apprises de lui : l’importance de la vie, la nature du pouvoir de Thomas Sankara.

La nature du régime du CNR (Conseil national de la révolution)

La vieillesse serait un naufrage dit-on. Je peux dire avec certitude et admiration que cela n’est pas vrai pour tous, et que j’ai eu l’insigne honneur de connaître deux de nos compatriotes qui ont démenti avec brio cette assertion .Ce sont le professeur Joseph Ki-Zerbo, et le Dr Moussa Roger Tall, qui ont, de la plus belle des manières,

montré l’usage que l’on peut faire du bel âge, du vieil âge. Ils ont  imposé la figure de l’aîné dans le mouvement démocratique du Burkina Faso. Avant eux  les réunions publiques, les marches et meetings (hormis ceux des partis) ne reflétaient pas la société dans tous ces âges,  la jeunesse dominait par son grand nombre mais brillait peu par son esprit.

Je me souviens d’un colloque où  le «procès en béatification» du capitaine Thomas Sankara se tenait. Le Dr Moussa Roger Tall y est intervenu avec pondération et sagesse : il a dit que Thomas Sankara était son enfant et que les CDR (Comité de défense de la révolution) étaient ses enfants, et qu’un de ses amis de passage à Ouagadougou durant la période du CNR  lui avait demandé quelle était la nature du régime en place à Ouaga ? Il lui avait répondu qu’un régime où :

le n°1 est militaire

le n°2 est militaire

le n°3 est militaire

le n°4 est militaire

est un régime militaire, une dictature comme celle du colonel Mouammar Kadhafi.

Beaucoup n’ont pas goûté au charme enchanteur de cette démonstration à la beauté mathématique. Si je ne m’abuse c’est un raisonnement par récurrence. Roger Moussa Tall est un titulaire du baccalauréat «Mathématiques élémentaires » ainsi était désigné le Bac C à cette époque et est passé par une école préparatoire avant d’intégrer l’école vétérinaire d’Alfort par concours.. Ce que le Dr Tall a dit en quelques propositions c’est l’importance du chef chez les militaires et du commandement, l’ordre que donne le chef ne se discute pas il s’exécute. Cette vision militaire des chefs sera la vision générale du régime où les premiers dirigeants sont des chefs militaires. Du reste, le régime montrera clairement aux civils qui l’accompagnaient et servaient de cosmétique révolutionnaire, à chaque anniversaire du coup d’État que ce sont les quatre chefs historiques militaires qui détenaient le pouvoir. Les civils membres du gouvernement étaient renvoyés et le pays était dirigé par le quarteron de capitaines (Excusez-moi, il y avait un commandant parmi eux que je dégrade ainsi par cette expression.) qui prenaient bon nombre de décisions importantes avant de refaire un nouveau gouvernement.

Parmi les éléments outrés par cette irruption de la vérité historique dans une fête où on ne l’espérait pas, certains l’ont vécue comme si l’on écornait l’icône Thomas Sankara. Je pense  que la jeunesse devrait être avide de savoir ce qui s’est réellement passé en 1984 et que l’expérience de ceux qui ont vécu, ces faits historiques doit avoir son importance pour elle, mais non. Si ce n’est pas par le mépris, c’est par une violence des propos que son intervention a été accueillie. J’ai apprécié beaucoup le courage du Dr Tall qui a dit ce qu’il  pensait au milieu de la foule  de fans et d’admirateurs de Thomas Sankara, hostiles à tous ceux qui ne pensent pas comme eux.

Ceci est symptomatique de l’époque et d’une certaine jeunesse subissant les nouvelles technologies, ne choisissant que d’être fan de quelqu’un ou de quelque chose, passant son temps sur Facebook à «liker» ou à suivre des personnalités, ne proposant rien, ne faisant rien. Je ne suis pas sûr que  Thomas Sankara qui était le seul à insulter les CDR en public, serait content d’être adulé comme «Queen Bey» et que ces fans comme les Beyhive fondent sur tous ceux qui disent autre chose. À y regarder de près aujourd’hui après les derniers évènements que notre pays a connus,  la période du CNR a montré que l’on peut baptiser son putsch révolution et faire des discours au nom du peuple, mais que si ce peuple ne se sent pas concerné, il ne sortira pas pour vous. Alors qu’après l’insurrection d’octobre 2014, le peuple qui est sorti pour chasser le dictateur (ancien n°2 du CNR) est ressorti pour refuser le retour à l’ancien ordre que les généraux félons voulaient ramener. Les jeunes qui sont sortis, qui sont morts dans les deux évènements (insurrection et coup d’État), n’avaient pas besoin de héros, ils étaient les héros, ce ne sont pas des suiveurs,  mais des acteurs. Certains jeunes devraient davantage avoir les yeux face à l’avenir que de les river sur le rétroviseur.

L’importance de la vie

Quand j’ai eu l’honneur de connaître le Dr Tall, il était déjà très malade : diabétique, ayant eu une opération cardiaque lourde - un triple ou un quintuple pontage aorto-coronarien, une sciatique - mais c’était un vieux monsieur actif, qui savait que le temps lui était compté et qui voulait utiliser à bon escient le peu de temps qui lui restait à vivre. Les docteurs lui avaient prédit sa mort et en scientifique il avait accepté et le rappelait souvent. Un jour où je lui faisais remarquer son grand mérite pour le respect strict d’une bonne hygiène de vie et des soins médicaux, il me conta cette anecdote de la Révolution française, au moment de la terreur quand la guillotine (belle invention française!) fonctionnait à plein régime. Le bourreau avait remarqué un vieux monsieur qui pleurait avant son tour, alors que les jeunes gens allaient se faire couper la tête en chantant. Curieux le bourreau lui fait remarquer son manque de courage. Le vieil homme lui dit que les jeunes gens ne savent pas l’importance de la vie, d’où leur insouciance face à la mort.

 

Voilà une leçon magistrale qu’il m’a donnée.  L’importance de la vie pour le Dr Tall, c’est de ne pas la subir, la vivre pleinement au service de son idéal, pour le bien-être et le bonheur des plus petits. Malgré tous les maux dont il souffrait il a entrepris un grand voyage pour les Caraïbes, en Martinique sur les terres de son père à qui il tenait à rendre un dernier hommage et rencontrer ses parents des îles. Le récit de ce voyage est présent dans son ouvrage. Il a réussi à publier le premier tome de ses mémoires et à faire plusieurs articles dans la revue Hakili (revue du Mouvement du manifeste pour la liberté). En 2010, le Burkina Faso a célébré le cinquantenaire de son indépendance, c’était une grosse célébration où il n’y avait pas de place pour ceux qui en 1960 exprimaient des opinions contraires à ceux des tenants du néocolonialisme, notre mouvement a organisé un panel avec le Dr Amady Aly Dieng ancien président de la FEANF(Fédération des étudiants d’Afrique noire en France) Mme Jacqueline Ki-Zerbo une des patriotes africains internationalistes qui sont allés soutenir la Guinée indépendante en 1958, le Dr Moussa Roger Tall ancien membre du bureau de la FEANF et de l’UGEV. Ils ont partagé avec une assistance nombreuse leur opinion sur «les indépendances africaines vues par la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France». L’amphithéâtre A600 de l’UFR-LAC de l’Université de Ouagadougou a refusé du monde et les étudiants étaient surpris par le nombre des étudiants de cette époque qui sont venus participer au seul panel non officiel qui donnait la parole aux résistants et aux combattants  d’il y a cinquante ans.

Henri Prosper Ky

Responsable à l’information de la Coordination du mouvement du manifeste pour la liberté

(1) Le titre est du journal

Dernière modification lemardi, 09 avril 2019 23:01

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