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Plaidoiries avocats Diendéré : «La Transition était illégale, il n’y a pas d’attentat à la sûreté de l’Etat»

Le 15 juillet 2019, les avocats du général Gilbert Diendéré avaient expliqué avoir saisi le Conseil constitutionnel d’un recours en inconstitutionnalité de certaines dispositions du code pénal. Cette saisine a été l’origine de la suspension de l’audience du procès du putsch manqué de septembre 2015. La reprise annoncée pour le 23 juillet n’aura pas lieu, car la décision des Sages n’était pas encore connue du tribunal. Finalement l’audience a repris hier lundi 29 juillet 2019 même si, dès le 24 juillet, le Conseil avait rendu publique sa décision qui rejetait ledit recours, car mal fondé. Du coup, hier, les avocats du général Diendéré ont entamé leurs plaidoiries. Ils se sont employés à démontrer que les faits d’attentat à la sûreté de l’Etat reprochés à leur client ne sont pas constitués, puisqu’au moment des faits, le régime en place, celui de la Transition, était « illégal ».

 

 

Comme il fallait s’y attendre, l’entame de l’audience a consisté à tirer au clair ce qui avait causé sa suspension : le recours en inconstitutionnalité introduit par les conseils du général Diendéré qui estimaient que l’article 67 du code pénal ancien était contraire l’article 5 de la Constitution. En rappel, la première disposition sus-citée indique que « les auteurs, coauteurs et les complices d’un crime ou d’un délit ou d’une tentative de crime ou de délit sont également responsables de toute autre infraction dont la commission ou la tentative est une conséquence prévisible de l’infraction ». L’article 5 de la loi fondamentale, lui, indique que « … la peine est personnelle et individuelle».

Dans leur décision, les grands juges ont indiqué en substance que la requête est recevable de par sa forme mais mal fondée dans le fond. « Avez-vous reçu notification de la décision du Conseil constitutionnel ?» a demandé Seydou Ouédraogo à la défense du général. Et Me Mathieu Somé de répondre : « Oui, nous l’avons reçue le 26 juillet ».

La parole donnée au parquet pour ses réquisitions, celui-ci a demandé au président de prendre acte de la décision des Sages. Chose faite, après consultations des avocats des parties civiles et de la défense qui se sont pliés à la décision de la haute instance.

Ainsi, les conseils du général Diendéré pouvaient entrer dans le vif de leur plaidoirie. Le premier à tenir le crachoir est Me Paul Kéré. Il a dit vouloir faire des observations au bénéfice du général, qui est pour lui plus qu’un client, un ami de longue date. « Pour le général Diendéré, je ne suis pas un ouvrier de la 25e heure », a-t-il d’ailleurs signifié. Selon l’avocat, le général, en « officier loyal », n’avait pas intérêt à perpétrer un putsch contre le pouvoir de la Transition. Et de révéler que de son vivant, le défunt président de l’Assemblée nationale « Salifou Diallo a tout fait pour que le général fasse un coup d’Etat à l’ex-président Blaise Compaoré. Mais que ce dernier a toujours mis au-devant sa loyauté  de militaire et a refusé ». Donc dire que la responsabilité de « Golf » est engagée dans l’affaire, Me Kéré ne l’entend pas de cette oreille : « quand bien même le général Diendéré aurait endossé la responsabilité du putsch, il n’y a pas d’élément qui montre qu’il a pris l’initiative d’interrompre les institutions de la Transition ». Pour l’avocat, le cerveau présumé du putsch ne pouvait refuser cette responsabilité au risque « d’être buté ».

 

«L’instruction a conduit vers une vérité préétablie»

 

Pour sa part, Me Mathieu Somé est remonté à la phase de l’instruction du procès pour démontrer que son client, à l’instar d’autres accusés, a été victime d’une instruction « uniquement à charge ». A ce propos, il n’a pas manqué d’exhumer « des irrégularités » de procédures qui ont opposé en son temps les différentes parties du procès : le refus de constitution d’avocats étrangers, le non-respect de la procédure pour l’expertise de certaines pièces. « Lorsqu’on a perquisitionné le domicile du général Diendéré, on dit y avoir trouvé cinq téléphones, un ordinateur portable et d’autres objets. Normalement la remise de l’ordinateur à l’expert Sanfo pour son expertise devait se faire en présence du général Diendéré. Cela n’a pas été le cas, la pièce a ainsi été remise dans des conditions peu orthodoxes », a expliqué Me Somé. Et de poursuivre en ces termes : « C’est dans ces traficotages qu’il a été dit qu’on a trouvé un document nommé CPND sur l’ordinateur ». Pour cet avocat du père spirituel de l’ex-RSP, la constitution de la liste des témoins est en outre la preuve d’une instruction partisane : « quand nous avons présenté la liste des témoins à entendre, le parquet militaire l’a rejetée au motif fallacieux que ce n’était pas son rôle d’émettre des convocations. Pourtant, aucune disposition de la justice militaire ne rendait les convocations impossibles. » La religion de Me Somé est faite : « L’instruction a conduit vers une vérité préétablie » et le dossier, lui, est « tout faux ». « Dans votre dossier, monsieur le président, vous avez beaucoup de fausses pièces sur les 15 000 pages. Elles ont été rassemblées, bien orientées dans le but d’atteindre des personnes précises et d’en écarter d’autres, placées au-dessus de la loi. Cette obstruction grossière du parquet ne nous permettra pas de connaître toute la vérité.»

 

«Les juges ont mal qualifié les faits»

 

Venant aux faits reprochés à son client, la défense du général s’est attardée sur l’infraction d’attentat à la sûreté de l’Etat. Mes Somé et Abdoul Latif Dabo ne sont pas passés par quatre chemins pour qualifier cette infraction de non-constituée. «En disant qu’il y a eu attentat à la sûreté de l’Etat, les juges n’ont pas su qualifier les faits » selon Me Somé. Concernant cette infraction, rappelle-t-il, le parquet a invoqué les articles 109 et 110 du code pénal ancien qui définit cette infraction comme étant « la résolution ou la concertation entre au moins deux personnes  concrétisée par un acte commis ou commencé et visant, entre autres, le changement, par la violence, du régime légal ». Or, a estimé Me Somé, « Golf » n’a pas assisté à la réunion préparatoire de l’arrestation des autorités de la Transition. L’avocat croit savoir en outre que « le parquet a voulu meubler le dossier » en disant que le général a dirigé le commando qui a procédé à l’arrestation du chef de l’Etat et de ses ministres ou encore qu’il était informé de cette action au moment où elle se déroulait. Mieux, pour l’avocat, le régime de la Transition, qui dirigeait le pays au moment des faits, n’était pas « légal » pour que l’infraction soit constituée, si l’on se réfère toujours au code pénal.

Sur cette question de la légalité du pouvoir d’alors, les avocats n’ont d’ailleurs pas manqué d’arguments, partant notamment de sa non-conformité avec la loi fondamentale, c’est-à-dire la Constitution. Me Somé a fondé son argumentaire sur l’historique du régime transitionnel mis en place dans un contexte post-insurrection et régi par la Charte de la Transition. L’homme à la robe noire a fait remarquer que ce régime n’a pas été instauré conformément aux dispositions de la loi fondamentale qui veut le chef de l’Etat soit désigné au suffrage universel direct. Ainsi, il n’y avait pas de base légale qui conférait au président du Faso d’alors son autorité, s’est indigné Me Latif Dabo. Des dispositions de cette Charte stipuleraient en outre qu’en cas de contrariété, cette dernière prime sur la Constitution. « Nous étions assis sur du faux », s’est indigné l’avocat, évoquant au passage l’annexion à cette loi de l’accord complémentaire à polémique qui autorisait les militaires à être dans les organes dirigeant de la Transition.

L’audience, qui a été suspendue dans la soirée, reprendra le jeudi 1er août à 9h. La raison en est la réquisition de la salle pour les travaux de la 8e conférence au sommet du Traité d’amitié et de coopération entre le Burkina et la Côte d’ivoire qui a lieu ce 30 juillet 2019 à Ouagadougou.

 

San Evariste Barro

Bernard Kaboré

 

 

Encadré

Pour que le tribunal tranche en toute sérénité

 

De quoi sera faite l’intime conviction des juges de la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou au moment de délibérer ? Difficile de le savoir. Depuis le début des plaidoiries, chaque avocat montre, en tout cas, la potion d’éléments qui permettront de dire le droit et rien que le droit. Plaidant à la faveur du général Gilbert Diendéré, Me Somé s’est attardé sur cet exercice, après avoir estimé qu’il y a assez de « faux » dans le dossier : « Ce dossier, monsieur le président, je me demande si vous pourrez le juger de façon sereine. N’avez-vous pas sur vous le poids de l’opinion ? Pourrez-vous dans ces conditions prononcer l’acquittement ? L’homme qui pense doit guider l’homme qui agit, il doit vous guider, monsieur le président. Vous n’êtes pas là pour sauver l’enquête mal faite. Car le système de l’intime conviction qui vous revient n’est pas fait pour masquer les défauts de l’enquête encore moins les oublier. Avoir l’intime conviction, c’est être sûr de la vertu de chaque preuve. La seule neutralité dans cette salle, c’est la vôtre. Faites attention aux preuves qu’on vous présente dans le but d’emporter votre intime conviction ».

 

B.K.

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