Menu

Grève des réfugiés urbains au Burkina : Des nuits à la belle étoile à rêver de l’eldorado

 

Depuis plus d’un mois maintenant, une cinquantaine de réfugiés urbains vivant au Burkina Faso se sont installés sur le trottoir devant les locaux du haut-commissariat des Nations unies  pour les réfugiés (HCR) au quartier Gounghin de Ouagadougou. Originaire d’Afrique centrale pour la plupart et installés au Pays des hommes intègres depuis de nombreuses années, ils souhaitent être réinstallés dans une autre contrée où ils connaîtront un meilleur sort.

 

 

Ils n’ont pas réfléchi bien longtemps pour s’accorder sur le lieu où ils devaient faire la grève: les locaux de l’UNHCR puisque l’organisme des Nations unies chargé de la protection des réfugiés est accusé de les avoir abandonnés.

 

Il est un peu plus de 20h ce jeudi 11 juillet sur le parking visiteurs de l’institution onusienne. Comme tous les soirs, des membres de la petite communauté reviennent aligner les moustiquaires sous lesquelles ils passeront la nuit, à quelques mètres du trafic de l’avenue Moogh Naaba-Zombré.  Certains ne quittent jamais ce logis de fortune depuis le début de ce mouvement d’humeur des réfugiés urbains le 18 juin dernier. Le secret de la vie sur le trottoir, la solidarité. Hommes, femmes et enfants, de sept nationalités différentes,  partagent tout, à commencer par le repas. Solidaires, des passants laissent quelque fois des pièces qui serviront généralement à payer des sachets d’eau. Pour aller au petit coin ou prendre sa douche, on demande l’hospitalité du voisinage ou on se fond dans la foule de fidèles de la mosquée d’à côté pour profiter des toilettes. En cette saison pluvieuse quand l’averse arrive, les grévistes trouvent refuge sous le hall d’une bâtiment de l’autre côté de la rue. Mais après la pluie, il faut généralement faire sécher la literie au soleil.

 

Pourquoi ont-ils tout abandonné pour vivre dans la rue ? A cette question, les voix s’élèvent, s’entremêlent, pour  crier leur ras-le-bol. Mais quand il s’agit de parler face à un dictaphone, dans le groupe des femmes où provenaient ces complaintes, personne ne veut se jeter à l’eau, si ce n’est anonymement. «Ce n’est pas par plaisir que nous réclamons à quitter le Burkina. Nous sommes fatigués, la vie des réfugiés ici,  c’est vraiment terrible. On n’a pas d’assistance sociale ni médicale, il n’y a rien. Nous sommes abandonnés à notre triste sort. Parmi nous, il y a des cas de décès par manque de médicaments, on demande au HCR de nous installer dans un pays tiers », témoigne l’une d’elle, mère de famille qui a perdu son époux dans le conflit centrafricain. Et de s’épancher de nouveau : «C’est suite à la guerre que nous sommes là, le HCR a l’obligation de protéger les réfugies. On n’a pas de travail, même les Burkinabè n’en ont pas. L’intégration  est difficile,  donnez-nous la chance pour qu’on reconstruise notre vie ailleurs puisqu’on ne peut pas retourner chez nous vu que la guerre n’est pas finie». Pour elle comme pour tous les autres, il n’est pas question de faire marche-arrière dans cette «grève illimitée» : «On préfère mourir devant le HCR que de mourir au quartier. Même pour manger, il n’y en a pas. Beaucoup de filles réfugiées se prostituent pour chercher à manger».

 

 

 

Aux bons souvenirs d’Alpha Barry

 

 

 

Pour qu’une solution  leur soit trouvée,  l’un des plus anciens du groupe, Fernando, s’en remet  à l’actuel  ministre des Affaires étrangères, Alpha Barry. En effet, ce n’est pas la première fois  que ceux qui vivent en exilés au Burkina donnent de la voie pour réclamer de meilleures conditions de vie. En 1999, on avait assisté à la même scène, mais c’était devant la cathédrale de Ouagadougou. A l’époque, Alpha Barry, correspondant de Radio France internationale (RFI) avait couvert les manifestations. «Il est pourtant mieux placé pour connaître notre souffrance», regrette Fernando,  qui après 27 ans sur les rives du Kadiogo, affirme,  patauger dans la misère.

 

Les croquants de Gounghin dénoncent également la confusion autour de l’autorité habilitée à assurer leur prise en charge. «Au ministère des Affaires étrangères, on dit que nous sommes des refugiés du HCR, au HCR on dit que nous sommes des réfugiés de l’Etat burkinabè», indique le président de l’Association des réfugiés urbains au Burkina, Jacques B. Nsiensie. Pour lui, la situation des réfugiés s’est dégradée lorsque l’Etat burkinabè via la Commission nationale pour les réfugiés (CONAREF) a commencé à suppléer le HCR dans la prise en charge de cette catégorie de personne. «A l’époque, les réfugiés étaient uniquement à la charge du HCR mais la situation a évolué en 1998. C’est quand la CONAREF a commencé à s’occuper de nous que nous vivons dans le malheur, la galère et la souffrance», poursuit-il. Le Burkina étant devenu un enfer pour eux, ceux qui ont bénéficié de son hospitalité rêvent d’ailleurs. «Si nous quittons ici, c’est direction l’aéroport », espère Jacques Nsiensie. Même s’ils ne se sont pas prononcés sur leur destination de rêve, nous avons appris que les Etats-Unis, le Canada et les Etats d’Europe, reviennent fréquemment au bout de leurs lèvres.

 

 

 

 

 

Hugues Richard Sama

 

 

 

 

 

 

 

Encadré

 

 

«Seul 1% des réfugiés dans le monde est réinstallé»

 

(Hector Malonga, administrateur principal chargé de la protection du HCR/Burkina)

 

 

 

Le premier des nuages qu’il faut dissiper lorsqu’on aborde la crise des réfugiés urbains au Burkina concerne la responsabilité de leur prise en charge. Pour l’administrateur principal chargé de la protection du HCR/Burkina, Hector Richard Malonga, cette responsabilité a été fixée par la convention de Genève : «Le premier responsable pour la protection des réfugiés dans tous les pays du monde, c’est l’Etat qui les accueille. Vient ensuite le HCR à qui la communauté internationale a donné un mandat qui lui permet de soutenir les gouvernements afin que les réfugiés soient traités conformément  à la convention». C’est ainsi, selon ses explications, que dans les pays développés,  le haut-commissariat n’a quasiment rien à faire, puisque ces Etats ont les moyens de fournir l’assistance nécessaire aux personnes qu’ils reçoivent. Par contre, sous nos tropiques où tout est prioritaire, le HCR est constamment amené à jouer les premiers rôles, ce qui, ajoute Hector Malonga, ne décharge pas le gouvernement burkinabè de sa responsabilité. Autre précision qu’il tient à apporter : l’assistance de cette agence de l’ONU n’est pas une prise en charge totale et globale de tous les besoins des refugiés. Ce sera d’ailleurs contreproductif, estime-il, que de maintenir le réfugié dans un assistanat permanent alors qu’il peut parfois voler de ses propres ailes, pourvu qu’il en ait la volonté. Qui plus est, le HCR qui fait appelle à la solidarité internationale arrive de moins en moins à récolter la manne nécessaire pour couvrir les charges d’assistance, d’où un accent mis sur des besoins jugés prioritaires : «Le plus urgent, c’est par exemple l’éducation. En ce qui concerne l’éducation primaire, tous les enfants bénéficient de quelque chose. Au niveau secondaire et supérieur,  il y a un système de bourse avec des critères  bien définis et les réfugiés eux-mêmes participent au comité de bourse», explique l’administrateur principal chargé de la protection du HCR/Burkina.

 

 Le statut de réfugié étant intermédiaire, il faut en sortir un jour. Et à cet effet, il existe à ce jour trois solutions durables. La première et la plus recherchée par la communauté internationale, selon notre interlocuteur, c’est le rapatriement du réfugié dans son pays d’origine lorsque toutes les conditions sont réunies. Par exemple quand le conflit a pris fin et que le déplacé peut retourner chez lui sans crainte d’être de nouveau persécuté. Il n’est possible qu’avec l’accord de l’intéressé. S’il refuse, le rapatriement est impossible. Il y a ensuite l’intégration locale.  « Si on constate à long terme qu’un refugié, vu le temps qu’il y a passé,  ne peut que rester dans le pays qui l’a accueilli, on fait tout avec le gouvernement pour qu’il puisse avoir les mêmes droits que les citoyens de ce pays, y compris qu’il soit naturalisé », détaille Hector Malonga. Ce n’est que lorsque ces deux premières solutions sont inenvisageables qu’intervient la troisième possibilité : la réinstallation. «Elle consiste à  rechercher un pays tiers qui peut accueillir le refugiés.  Mais ce sont des pays assez limités, il n’y a pas beaucoup de pays qui offrent des places pour la réinstallation. Et il faut vraiment savoir qu’année après année, on a seulement 1% des réfugiés dans le monde qui bénéficient de cette solution », affirme le responsable du HCR. Rappelons que les réfugiés qui manifestent en ce moment souhaitent justement leur réinstallation. Mais selon l’administrateur principal,  des trois solutions durables, seul le rapatriement est un droit, les deux autres n’étant que des opportunités. «Aucun pays n’est obligé d’accueillir en vue d’une réinstallation du réfugié. Les pays qui le font, le font sur une base volontaire et fixent leurs critères », précise-t-il. Le rôle du HCR à partir de cet instant se limite à monter le dossier du réfugié demandeur en s’assurant qu’il correspond aux critères du pays d’accueil qui se réserve le droit d’accéder ou pas à la requête. Parmi les critères, il y a la vulnérabilité car les réfugiés ne sont pas logés à la même enseigne. Un réfugié qui est incapable d’apporter la preuve qu’il sera inquiété s’il retourne dans son pays et qu’il ne peut pas s’intégrer dans son pays d’accueil a aussi peu de chance d’être  accueilli pour une réinstallation. Et c’est là, selon Hector Malonga,  le souci des réfugiés urbains au Burkina. La plupart, à l’écouter, sont installés dans le pays depuis une dizaine, voire une vingtaine d’années. Dans cette situation, il y a la présomption d’intégration d’autant plus que certains parlent les langues locales ou se sont mariés à des nationaux. Ce qui explique le rejet de nombreux dossiers, mais la solution de la réinstallation n’est pas pour autant fermée.  «Au moment où je vous parle, il y a une cinquantaine de dossiers en cours d’examen », nous apprend-il en effet. Le 18 juillet, le HCR a rencontré les réfugiés au Burkina depuis 10 ans au moins pour leur proposer d’augmenter le montant du viatique habituellement servi en cas de rapatriement, espérant que cette motivation va les convaincre d’accepter la solution du rapatriement. Mais difficile pour l’heure de dire si certains ont accepté l’offre.

 

Au 30 juin 2019, le HCR comptabilisait 25 808 réfugiés et demandeurs d’asile sur le sol burkinabè. 98% d’entre eux sont des Maliens qui sont installés dans les différents camps. Eux ne sont pas concernés par le mouvement en cours qui réunit des ressortissants de sept pays (Centrafrique, Congo, RDC, Togo, Burundi, Tchad, Rwanda).

 

 

 

H.R.S.

 

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

Retour en haut