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Procès putsch manqué : « Les voix qui défendent les victimes sont pourtant les bouches qui ont soufflé sur la braise » (Me Jean Yaovi Degli, avocat de Diendéré)

Les plaidoiries des avocats du général Gilbert Diendéré se sont poursuivies le vendredi 2 août 2019 au tribunal militaire de Ouagadougou, délocalisé à la salle des banquets de Ouaga 2000. Le Togolais Me Jean Dégli, l’un des avocats de Golf, a martelé que les voix qui défendent aujourd’hui les victimes sont pourtant celles qui ont contribué à pousser le RSP à la faute.

 

 

Les avocats de Gilbert Diendéré sont convaincus d’une chose : si leur client est aujourd’hui dans le box des accusés, c’est parce qu’on lui reproche d’incarner le régime Compaoré. Le 02 août dernier, maître Olivier Yelkouni, l’un des conseils de l’accusé, a entamé sa plaidoirie en disant qu’il ne s’agit pas ici de juger le régime Compaoré. Si tel devait être le cas, Me Yelkouni pense que le tribunal devait également juger toutes les personnes qui ont gouverné avec Blaise Compaoré pendant 27 ans.

 

Et il a poursuivi sa plaidoirie en lançant cette pique au parquet militaire : « Le ministère public est instrumentalisé. Même s’il tente de le cacher, il ressemble à un éléphant qui essaie de se cacher dans une prairie. »

 

« Nous allons sortir, vous pour vivre et moi pour mourir ». Cette phrase que Socrate a prononcée après son jugement, Me Yelkouni espère que son client, le général Diendéré, n’aura pas à la prononcer à son tour. « Ce n’est pas ainsi que Gilbert Diendéré veut vous quitter, messieurs les juges. Il veut vivre », a insisté l’avocat, s’adressant aux membres de la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou.

 

A la suite de Me Yelkouni, Mathieu Somé, un autre avocat de Golf, s’est saisi du micro. Il a immédiatement pointé du doigt la nature du procès qu’il a qualifié de politique. Il estime que si le procès n’était pas politique, les personnes qui, selon lui, ont posé des actes d’atteinte à la sûreté de l’Etat pendant l’insurrection auraient dû être poursuivies. L’avocat a dans sa ligne de mire le général Honoré Nabéré Traoré, le général Kouamé Lougué, le général Yacouba Issac Zida (éphémère président du Burkina Faso après la chute du régime Compaoré) et enfin Saran Séré/Sérémé (actuel Médiateur du Faso). Pour Me Somé, du moment que ces quatre personnes ne sont pas poursuivies alors que l’on décide de s’intéresser à celles qui ont été auteures des événements du 16 septembre 2015, cela n’est ni moins ni plus qu’une justice des vainqueurs.

 

L’avocat estime naturellement que le procès est « politique », raison pour laquelle la hiérarchie militaire, qui aurait soutenu le putsch, n’est pas dans le box des accusés. Mais si ces personnes ne sont pas inquiétées, l’avocat accuse la défaillance de l’Etat. Il dit même que le putsch du 16 septembre 2015 tire en partie sa source de la défaillance de l’Etat.

 

Depuis son exil canadien, le nom de l’ancien Premier ministre de la Transition est régulièrement cité dans ce procès. Les actes peu catholiques qu’il aurait posés sont en permanence évoqués. « Monsieur le président du tribunal, on nous a dit ici que Zida a donné 25 millions de FCFA pour empoisonner la nourriture des éléments du RSP qu’il n’arrivait pas à manipuler. Cette tentative d’assassinat n’a pas fait l’objet de poursuites. On a fermé les yeux sur un acte aussi grave », a rappelé l’homme de droit pour qui la décision de dissoudre le RSP était une provocation pour pousser l’ancienne garde prétorienne à la faute. A l’issue de son développement, Mathieu Somé plaide que son client bénéficie de circonstances atténuantes.

 

Les plaidoiries des deux avocats n’ont pas pris plus d’une heure. Après eux, le tour de parole est revenu au Togolais Me Jean Dégli, également avocat de Gilbert Diendéré. Au début, il a prévenu que sa plaidoirie serait longue parce que la condamnation à perpétuité qu’a requise le parquet militaire contre son client n’est pas courte. Il a tenu parole, car toute la journée n’a pas suffi à épuiser sa plaidoirie.

 

« Réquisitoires oiseux »

 

Au commencement, il a bâti son speech sur les paroles religieuses : « Dieu, parle à tes serviteurs pour que les cœurs de pierre se transforment en cœurs de chair », « Je prie afin que l’esprit de sagesse nous éclaire », « Monsieur le président, monsieur le juge conseiller, messieurs les juges assesseurs, après Dieu dans cette salle, c’est vous », etc.

 

Après son « homélie », Me Degli s’est adressé aux parents des victimes, leur disant que ce ne sont pas les « réquisitoires oiseux » qui peuvent les aider à faire le deuil de leurs proches, mais l’identification individuelle des auteurs. « La condamnation à perpétuité ne vous ramènera pas les personnes que vous avez perdues. Qu’on ne vous mente pas (...). Ne vendez pas de la chimère aux familles des victimes en leur faisant croire que les réquisitoires vont leur apporter justice. Pour leur rendre justice, il faut qu’on leur dise qui a tué qui. On peut identifier de quelle arme est partie la balle. Le parquet a volontairement occulté le fait de diligenter une bonne enquête. Il sait que si une enquête sérieuse est menée, on saura que le RSP n’est pas responsable, que le général Diendéré n’est pas responsable », lance-t-il. Selon l’avocat, la partie poursuivante aurait mieux fait son travail si son enquête avait permis d’identifier clairement l’origine de chaque balle assassine.

 

 

« Diendéré n’a pas tenu de fusil pendant le coup d’Etat »

 

En trois décennies d’exercice de la profession, l’avocat a soutenu n’avoir jamais vu un procès aussi « bafoué » que celui-ci. « J’ai usé mes fesses sur les bancs des tribunaux pendant 30 ans, mais je n’ai jamais vu un procès pareil. On nous dit que 13 personnes ont été tuées mais on est incapable de mettre un visage sur l’auteur. J’ai peur que la génération future ne nous pardonne pas. J’ai vraiment peur », c’est en ces termes que Jean Degli a fustigé l’enquête du parquet militaire.

 

Un peu plus loin, il assène à nouveau : « Les familles des victimes, la meilleure façon pour vous de faire votre deuil, c’est qu’on vous dise qui a commis l’acte. Aucune enquête sérieuse n’a été faite pour vous dire qui a actionné la gâchette et qui a donné l’ordre. Dans ce procès, votre droit à la vérité a été bafoué. » Le Togolais a avancé que son client ne saurait être tenu pour responsable des morts parce qu’« il n’a pas tenu de fusil pendant les évènements et n’a donné l’ordre de tuer personne ».

 

Comme ses prédécesseurs, Jean Degli a aussi qualifié le procès de politique. « En matière pénale, on ne condamne pas parce qu’il y a mort d’hommes. Toute condamnation commence par l’identification de celui qui a commis l’acte. Si cela n’est pas fait, les condamnations ne sont que politiques », s’est-il expliqué.

 

Après avoir condamné le travail du ministère public, Me Degli s’est attaqué à certains avocats de la partie civile à qui il reproche d’avoir joué un rôle négatif en poussant le RSP à bout : « Les voix qui sont venues défendre les victimes et les familles sont les mêmes bouches qui ont soufflé sur la braise qui a emporté vos enfants. A tête reposée quand on va vous raconter la vraie histoire, vous allez vous en rendre compte. »

 

« Des juristes ont aidé Zida à échafauder les noms des accusés »

 

Parlant de Gilbert Diendéré, Me Degli a indiqué qu’il défend un homme qui n’a jamais lorgné le palais de Kosyam. L’avocat soutient qu’après l’insurrection populaire et l’exil de Blaise Compaoré, le général Diendéré avait le pouvoir à portée de main mais qu’il n’a pas tenté de s’en emparer ; pendant que « des gens éloignés ont tendu leur main et ont pris le pouvoir ». Maître Degli a également soutenu qu’il défend un monsieur qui a conseillé Blaise Compaoré de ne pas verser le sang de ses compatriotes. L’avocat pense que son client est jugé sous le couvert du régime Compaoré. « Le général Gilbert Diendéré est vu à travers le prisme du régime Compaoré. C’est pourquoi on requiert la peine maximale contre lui. Pourtant, contre des gens qu’on dit être ses complices, on a requis des peines beaucoup moins lourdes ».

 

Il a alors plaidé afin que le tribunal ne suive pas les réquisitions du ministère public qui, estime-t-il, n’a pas apporté les preuves de la culpabilité de son client. Mieux, l’avocat est persuadé que des gens ont tout mis en œuvre pour fabriquer des preuves pour se venger de son client qu’il qualifie d’adversaire coriace. « Zida est l’architecte de ce procès. C’est lui qui a désigné, planifié, imaginé les personnes qui sont dans le box des accusés », a entonné l’avocat, arguant que des juristes ont aidé Zida à échafauder les noms des accusés.

 

Par ailleurs, l’avocat a estimé que tout est mis en œuvre pour empêcher son client de prouver son innocence. Il indexe ainsi le parquet militaire qui a privilégié les témoins à charge et « refusé » de faire comparaître certains témoins à décharge listés par son client.Avec « les errements de procédure », Jean Degli pense que si la peine maximale est prononcée contre Diendéré à l’issue de ce procès, le jugement du président du tribunal, Seidou Ouédraogo, sera le pire de l’histoire judiciaire du Burkina Faso.

L’audience reprend ce mardi 6 août 2019 à 9 heures, toujours avec la suite des plaidoiries de Me Jean Degli.

 

 

San Evariste Barro

Hadepté Da

 

Encadré

Pourquoi maître Degli ne « facture pas d’honoraires » à Diendéré

 

L’avocat de nationalité togolaise a affirmé qu’hormis les frais de transport et le logis, il ne facture pas d’honoraires à Gilbert Diendéré. « Je ne facture pas d’honoraires au général Diendéré. Je suis le fruit de ce qu’il a semé. Diendéré a sauvé des gens de la mort », a expliqué celui qui relate avoir fui son pays à un moment donné pour se réfugier au Burkina Faso. Même s’il soutient ne réclamer aucun kopeck, il précise néanmoins que si son client lui donne quelque chose, ce sera de sa volonté.

 

H. D.

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