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Province de la Kossi: La révolution silencieuse des amazones de la terre

Elles ne se contentent plus de vivre des revenus, souvent bien maigres, de leurs époux. Armées de dabas et d’autres matériels aratoires, elles montent à l’assaut des champs comme ouvrières agricoles.

De la période des semis à celle des récoltes, ces amazones de la terre prennent d’assaut un domaine d’activités jusque-là tenu par les hommes.

Cette nouvelle initiative, en pleine expansion dans la Kossi, semble nourrir… sa femme, c’est le cas de le dire.

Constat.

 

 

 

Par un matin du mois d’août. Le temps est plutôt clément en cette période de grandes pluies. Perché sur notre monture, nous mettons le cap sur Dokuy, à une quarantaine de kilomètres de Nouna, pour un reportage. A mi-chemin, une scène inhabituelle attire soudain notre attention. Un groupe de femmes, une vingtaine environ, sont rassemblées dans un champ. Leur posture et leurs vêtements ne laissent guère de doute sur l’objet de ce rassemblement, qui plus est, sur une parcelle de culture. A coups de daba, elles remuent la terre  et y soutient les mauvaises herbes qui ont envahi les semis. Ni notre présence, ni les flashs de l’appareil photo ne les détournent de leur occupation du moment. Bien au contraire : « Allez-y montrer les images aux patrons [NDLR : les autorités] et dites-leur que les femmes peuvent aussi bien cultiver que les hommes », lance, un brin taquin, Orokia Sanogo, le visage ruisselant de sueur.

Arrachant brusquement une houe des mains d’une autre, elle nous la tend, sous forme de défi. « A nous deux ! », ajoute-t-elle, droite devant nous. Notre salut viendra du propriétaire du champ qui, sentant notre embarras, usera d’un trésor d’humour pour nous soustraire de ce duel, perdu d’avance. « Tu sais, mon fils, si tu vas écouter les femmes d’aujourd’hui-là… », dit-il,  avant de confier « Pour mes travaux champêtres, je fais désormais recours à la main d’œuvre féminine. Contrairement aux hommes, les femmes ne sont jamais pressées d’aller voir ailleurs. Elles ne laissent passer aucune herbe et en plus elles sont moins exigeantes puisqu’elles ne réclament ni thé ni cigarette en plus de la paie journalière ».

Revigorée par ces propos flatteurs, Orokia Sanogo se mit à battre les mains à tout rompre dans un concert de you-yous poussés par ses consœurs.

                   

Une opportunité pour les femmes et toute la communauté

 

Certes dans la Kossi, comme dans bien de contrées du Burkina Faso, la femme participe aux travaux champêtres. Mais jusqu’à présent elle ne représentait qu’une main d’œuvre d’appoint pour une agriculture dont les revenus, pour les cultures de rentes, étaient exclusivement gérés par le mari. Cette époque, où elle était reléguée au rôle de second couteau, pour ne pas dire de seconde daba, semble révolue.  

De nos jours, quand bien même les femmes continuent d’assister leurs époux dans les champs, de plus en plus nombreuses sont celles qui s’organisent en ouvrières agricoles. Au grand bonheur de certains grands exploitants.   

Le tarif journalier varie selon les localités. De 500 francs CFA dans les villages, il peut atteindre 1000 francs CFA à Nouna-ville. Une véritable source de revenus pour ces amazones de la terre, une bouffée d’oxygène pour toute la famille.

« Je suis mère de trois enfants et mariée à un homme polygame. Comme dans bien de familles paysannes d’ici, l’hivernage est synonyme de période difficile. L’argent que je tire de cette activité saisonnière permet de prendre soins de mes petits, de ma personne et de soutenir mon époux. J’en économise une partie pour ouvrir un petit commerce pendant la saison sèche », explique Aboussita Dama, un môme au dos.  

Certaines femmes sont affiliées à des groupements. C’est le cas d’Agathe Kembélé, responsable de l’association « Bara kadi » dans le village de Pa, à 12 km de Nouna.

« Nous sommes au nombre de quinze et nous consacrons trois jours de la semaine à ces travaux. Le reste du temps, chacune vaque à ses occupations. Les unes s’adonnent à des activités personnelles, les autres se rendent dans le champ de leurs maris ».

Mais lorsque nous nous intéressons à la caisse de l’association, la jeune femme, volontiers loquace, devient subitement secrète. Avant de consentir à briser le silence : « D’ici à la fin des travaux agricoles, nous pouvons gagner environ deux cent mille (200 000) francs, peut-être un peu plus ». Un pactole qui servira à acheter des pagnes pour l’uniforme de la fête du 8-Mars pour tous les membres du groupe et leurs filles. Alors plus besoin de recourir aux cotisations dont certaines ne parvenaient pas à s’acquitter, pour se procurer ce précieux tissu imprimé de la journée de la femme qui a valeur ici de marqueur social.  

Le travail rémunéré de la terre n’est pas l’apanage des femmes au foyer. De jeunes filles s’y sont aussi lancées corps et âme. En attestent ces collégiennes qui ont momentanément rangé cahiers et livres pour manier dabas et houes durant la période des vacances.  « C’est lors d’une réunion du comité des élèves du village que l’idée de faire ce travail est née », relate Assétou Dama, en classe de 5e au CEG de Dara. Une initiative qui procède d’une démarche militante.

En effet, l’argent récolté de ce labeur champêtre, c’est vraiment le mot, servira, entre autres, à payer la scolarité des jeunes filles victimes de certaines pesanteurs socioculturelles. « Il y a des parents qui pensent que l’enfant de sexe féminin, étant appelé à vivre un jour dans la famille de son futur mari, alors il ne sert à rien de faire des dépenses pour  payer ses études », explique à son tour Fatoumata Traoré de la classe de 4e, les doigts triturant rageusement le manche de la daba. Interpellant une camarade, elle poursuit «celle-là a failli abandonner le lycée l’année dernière, son père prétextant un manque de moyens. Le comité est allé le voir et lui a proposé de prendre en charge la moitié de la scolarité. Grâce à cet appui, elle a pu continuer ses études ».

De plus, selon les témoignages de ces collégiennes, ce travail d’ouvrière agricole constitue un rempart contre les méfaits des activités occasionnelles dans les grandes villes où certaines vacancières sont exposées à toutes formes d’exploitation et de tentation.   

 

Les difficultés ne manquent pas

 

Mais cette nouvelle activité génératrice de revenus pour les femmes n’est pas toujours du goût des hommes. C’est qu’il est parfois difficile de la concilier avec la vie au foyer telle qu’on la conçoit dans les sociétés traditionnelles. Par exemple, les repas ne sont pas toujours prêts aux heures indiquées et la nuit venue, des maris se plaignent de l’indisponibilité de leurs épouses plus préoccupées à se remettre de la rude journée de travail qu’à accomplir le devoir conjugal. «Deux membres de l’association ont dû abandonner à cause des plaintes de leurs maris. L’une d’entre elles a échappé de justesse aux coups de poing du chef de famille qui n’en pouvait plus de subir les désagréments de cette nouvelle vie», regrette Agathe Kembélé.   

Mais la responsable du groupement « Bara Kadi » a sa petite recette pour faire passer la pilule amère chez son homme.

« La solution, c’est de s’organiser et planifier son agenda. Je me lève à l’aube et dès 8 heures, le déjeuner est prêt. Mon mari l’emporte avec lui au champ et moi je suis libre de rejoindre mon groupe de travail. Quand on se repose à midi, je profite faire une petite sieste afin d’être disponible la nuit (rires). A 16 heures je suis de retour à la maison sans traîner le pas. Quand lou-tigui (1) rentre vers 18 heures, je l’accueille avec du thé que j’ai acheté moi-même et préparé avec soin ».

Avec une once de compréhension et d’accompagnement de la part des hommes, ces braves femmes pourraient accéder un jour au rang de véritables entrepreneuses agricoles.  Pour peu que leur ministre de tutelle veuille bien jeter de l’engrais sur cette activité en phase de montaison, pour coller avec le jargon de l’agriculture.  

 

Issa Mada Dama

 

(1)    Chef de famille en langue dafing

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