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Projecteur: Ce café qui fait les matins si beaux

On évoque souvent les rapports entre l’alcool et la création littéraire, mais quasiment jamais la relation entre les créateurs et le café. C’est pourquoi il n’est pas superflu que Projecteur rende un hommage à ce breuvage dont les amateurs forment une communauté bien particulière.

 

 

Les écrivains comme les simples amateurs de café lui vouent un culte fait de rituels. Dès le réveil, le buveur émerge de la nuit, il s’extirpe du lit comme un organisme veule et se traîne au salon. En silence. Car, comme le signalait le poète palestinien Mahamoud Darwich, le bruit peut rompre le fragile équilibre du matin et corrompre le goût du café. Le choix du café est un moment-clé. Il parcourt des yeux, où s’accrochent encore des lambeaux de sommeil, les différents cafés dont les noms et les emballages signalent les pays d’origine : Rwanda, Côte d’Ivoire, Ethiopie, Brésil, Colombie, etc.

Les deux types de café les plus connus sont le robusta et l’arabica, mais le second séduit les palais mieux que le robusta. Le café, particulièrement l’arabica, vient d’Ethiopie, il y pousse sur les hauts plateaux. C’est une plante qui pousse entre 800 et plus de 2000 m d’altitude, elle a besoin de fraîcheur et d’eau pour donner cette saveur fruitée et cette fragrance forte qui font son charme. L’arabica est onctueux sur les papilles. Quant au robusta, c’est le café des plaines, il a un goût amer et corsé. Sa fleur a besoin de dix à onze mois pour donner le fruit du café. La préférence de la plupart des amateurs va à l’arabica, peut-être parce que sa fleur met neuf mois à donner le fruit rouge du café, ce qui est proche de l’enfantement…

L’amateur peut choisir entre la machine à café et la cafetière italienne. La cafetière italienne, appelée aussi la Moka ou la Macchineta, est prisée par les puristes, ceux qui croient que la préparation du café passe par le feu. Il y a quelque chose de féminin dans cette cafetière avec sa forme en amphore et son manche qui ressemble à un coude replié, la main posée sur la hanche. La Moka se pose sur le réchaud et on attend que le feu et l’eau se marient à la poudre de café pour que l’alchimie ait lieu et donne ce breuvage unique ayant la couleur noire avec des reflets rouge et marron de la terre et des saveurs uniques. Le breuvage est prêt quand la cafetière siffle et que l’odeur du café emplit le matin et taquine les narines.

Il y a du fétichisme ou de la fidélité chez ces amateurs-là, beaucoup usent toujours de la même tasse. Jusqu’à ce qu’elle se casse. Et ils se lient à une autre jusqu’à la prochaine chute. Dans la séance de café, il y a un bonheur solitaire, égoïste et aussi un acte de communion. Le buveur sait qu’il partage ce plaisir des sens avec des millions d’hommes dans le monde, et il devine qu’au même moment, un autre homme, assis à sa table, accomplit les mêmes gestes que lui. Il sait qu’il fait partie d’une communauté, les danseurs du café qui exécutent, chaque aube, une même gestuelle qui est une chorégraphie mondiale.

 

Les célèbres buveurs de café

 

Beaucoup d’écrivains ont célébré le café. Mahmoud Darwich, qui le buvait dans le silence de l’aube, le chantait dans plusieurs passages d’Une mémoire pour l’oubli, et se demandait : « Comment peut écrire la main qui ne sait pas préparer le café ?» tellement il lie écriture et café. Il y a Voltaire, buveur invétéré de café qui ne suivit point son médecin lorsque celui-ci voulut le dissuader d’en prendre. Et Balzac buvant jusqu’à cinquante tasses par jour pour élaborer une œuvre monumentale, et aussi Rimbaud fuyant l’Europe et la poésie pour se retrouver en Abyssinie et y savourant le café des hauts plateaux. Paul Morand, buveur invétéré de café, notait que l’Orient pénètre dans les salons par le thé et dans les cerveaux par le café ; enfin René Char, dans Feuillets d’Hypnos, ce recueil né dans le maquis, sur le champ de bataille et où il trouve néanmoins quelque intérêt à noter la phrase de François, un jeune combattant de 20 ans : « J’échangerai bien mon sabre contre un café ! »

Chaque café à un goût particulier parce qu’il a le caractère de celui qui le prépare. Darwich, encore lui, disait : « Je connais mon café, celui de ma mère, de mes amis. (…) Aucun café ne ressemble à un autre, et chaque maison, chaque main possède le sien ». Par ailleurs, tous les cafés ne se valent pas. Il est des cafés qui sont le Graal et qui alimentent les rêves fiévreux des amateurs. Ainsi en est-il du Blue Mountain de la Jamaïque, cultivé à 2 200 mètres d’altitude dont le goût est exquis, le Bourbon du Brésil qui est le plus cher des cafés et le Kopi Luwac d’Indonésie qui est issu des crottes de civette !

Le café rend philosophe. Tous les buveurs de café du monde partagent la même angoisse, une question hautement métaphysique les travaille au diaphragme : « Et si le café n’existait pas au Paradis ? », se demandent-ils.  Dany Laferrière l’a bien exprimée dans l’Odeur du Café, où le jeune narrateur demande à sa grand-mère Da de lui expliquer ce qu’est le paradis. « Elle m’a montré sa cafetière. » En tout amateur de café, se cache une Da qui est convaincue que sur Terre le paradis est dans la cafetière et qui espère qu’il y a du café au Paradis.

 

Saïdou Alcény Barry

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