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Gestion des abattoirs : Des odeurs qui nous coupent l’appétit

 

Se procurer de la viande crue ou cuite. Quoi de plus aisé dans la capitale d’un pays qui tire une bonne part de ses ressources de l’élevage. On en trouve à tout coin de rue, mais souvent dans des conditions d’hygiène qui laissent à désirer le long de la chaîne, notamment sur les sites d’abattage et dans le mode de transport utilisé pour aller vers les clients. Immersion dans un domaine jusque-là informel et qui a du mal à se professionnaliser.

 

 

 

Les panneaux d’indication ne sont point nécessaires aux  usagers de la route nationale n°1 sur l’axe Ouaga-Bobo pour repérer l’aire d’abattage sise à Yimdi, un village en bordure de voie. Les odeurs qui en émanent et les charognards qui rodent dans les airs suffisent.

 

Les non-habitués se bouchent le nez au passage. La question qu’on est tenté de se poser, c’est de savoir si la viande commercialisée dans certains des marchés de Ouagadougou provient d’ici. Les activités sur les aires d’abattage situées dans les communes débutent dans la nuit obscure.

 

Au petit matin, bouchers et acheteurs se retrouvent très tôt  afin de faire la répartition et l’achat de cette denrée destinée aux yaars de la capitale. Les carcasses de petits et gros ruminants  sont accrochées, à la merci de la poussière, dans un hall et sous un hangar, attendant l’inspection des vétérinaires mandatés par la commune de Tanghin-Dassouri.

 

A cette heure de la journée, le site trempé de Yimdi grouille de monde. Le bâtiment sombre où sont accrochées les carcasses sert  de magasin où sont stockés des congélateurs usagés et en même temps de dortoir à certains bouchers assoupis à l’angle de l’édifice, épuisés sans doute par les travaux de la veille. Le plancher, peu reluisant, a perdu de son ciment et a laissé place à des crevasses humidifiées qui exposent la viande à toutes sortes de saletés. Pour se déplacer sur le site, il faut retrousser son pantalon. La mort et la vie se côtoie sur cette place. Plus loin, certains bouchers dépècent un bœuf à même le sol où les eaux usées, les déchets, la terre font bon ménage. L’hygiène est la chose la moins partagée sur cette aire d’abattage. « Si les citadins s’imaginaient les conditions d’abatage de ces lipides ils perdraient sûrement l’appétit », nous  sommes-nous dit in peto.

 

A quelques mètres de là, les excréta entassés empoisonnent l’environnement par les odeurs nauséabondes. Non loin de là, un déversoir a été aménagé pour gérer les déchets liquides. Celui-ci est bouché et c’est de ce capharnaüm que quelques canards tentent de retirer des boyaux pour le petit déjeuner.

 

Nous avons rendez-vous avec le vétérinaire chargé de l’inspection et qui doit nous servir de facilitateur. Celui-ci nous explique, après quelques minutes de discussion, ne pas parvenir à convaincre le chef des bouchers de s’entretenir avec nous, à fortiori de nous permettre de faire des clichés. Nous quittons les lieux.

 

Selon des explications du maire de Tanghin-Dassouri, Lassané Kiemtoré, sa commune a hérité en 2006 d’une situation litigieuse. « L’aire d’abattage a été construite par la mairie sur un terrain qui n’appartenait pas à la commune. Et pire, plus tard, on a appris que le terrain a été vendu à un opérateur économique par le chef de Yimdi. En conseil municipal, les bouchers et les chefs coutumiers de Tanghin-Dassouri ont alors décidé à l’unanimité que le terrain ne serait jamais cédé ».

 

On a voté un budget pour sa réhabilitation, mais sa mise en œuvre, du fait de la lenteur administrative, tarde, a confié M. Kiemtoré pour qui il s’agira de lutter contre les odeurs, d’ériger une clôture et de  construire  des fosses septiques.

 

 

 

D’une aire d’abattage à un abattoir

 

 

 

L’un des sites où des tonnes de viande sont aussi manipulées est celui de la Société de gestion de l’abattoir frigorifique de Ouagadougou (SOGEAO) qui offre des services d’abattage moyennant 3900 F pour les bovins, 450 F pour les petits ruminants et 1200 F pour les porcs. 325 à 350 bovins y sont abattus tous les soirs à partir de 21h.

 

Il est 21h moins le quart quand nous arrivons à Kossodo sur ce site. Pas moyen de se frayer un passage. Les apprentis-bouchers sont affalés à même le sol, exténués après avoir convoyé bovins, caprins et porcins sur les chaînes d’abattage. Ici, les travaux se déroulent tous les jours de 21h à 6h du matin, sauf le vendredi où ils commencent à 19h. Le samedi est jour de repos, nous apprend notre guide, le directeur technique de la SOGEAO, Sam Salifou. Ce travail à la chaîne s’effectue sous l’œil de la Police, qui sécurise les sites en permanence, et de ces quelque 300 agents de la SOGEAO. Lorsque les bovins arrivent, ils sont  d’abord confinés dans le parc à bétail où ils sont alignés progressivement en file indienne dans un box  afin d’être « étourdis », c’est-à-dire endormis, d’un coup de pistolet à la tête. « Après cela on les égorge selon le rite des musulmans, les plus exigeants en la matière. Seul celui qui a été désigné par la communauté musulmane procède à la saignée. Ensuite, intervient le processus d’habillage qui consiste à débarrasser l’animal de sa peau grâce à l’arracheur qui termine le travail en gardant les carcasses suspendues pour éviter les contacts. Les agents de l’abattoir numérotent les carcasses afin de permettre à chaque boucher de suivre son produit. Enfin, une fois que les boyaux et les pattes sont retirés, les agents des services vétérinaires passent à l’inspection et apposent leur estampille sur les carcassent. Au cas où la viande est contaminée, elle est soit consignée, soit saisie par les vétérinaires. Le cas échéant, on la remet au boucher qui est libre de la transporter sur les lieux de vente ou d’en demander la conservation dans l’une des 14 chambres froides de l’AFO. Malheureusement les bouchers qui obtiennent leur viande l’exposent toute la nuit aux intempéries, sous un hall inadapté. A en croire le directeur technique de la SOGEAO, Sam Salifou, pour les bovins, il ne demande que 1000 F CFA, pour les petits ruminants 200 et pour les porcs 700 F CFA, quel que soit le lieu de livraison dans la commune de Ouaga. «La demande est très faible, et nous n’avons pas assez de véhicules. Nous disposons d’un camion frigorifique et isotherme qui respecte l’exigence de carcasse suspendue », a-t-il dit avant d’expliquer que les mauvaises conditions de transport des denrées alimentaires d’origine animale sont liées à des habitudes culturelles.

 

Toujours selon les explications de M. Sam, les  bouchers ne se sont pas encore professionnalisés. « Ils n’ont pas encore  pris la mesure du grand risque de souillure de la viande mal transportée. Seul le consommateur peut en faire changer le traitement ».

 

Selon les dires du chef du service production, Charlemagne Tiendrébeogo, les porcs sont tués au petit matin, et les petits ruminants à partir de 23h.

 

A en croire l’ancien directeur régional des Ressources animales du Centre, Jean Haro, l’inspection des denrées alimentaires d’origine animale au niveau des aires d’abattage relève de la région du Centre et aussi de l’Abattoir de Kossodo. L’AFO a une équipe de 12 personnes qui se relaient tous les jours.

 

« On est privé de plein de choses. Avant, la mairie centrale nous épaulait avec un véhicule et des agents de Police. Ce qui nous permettait d’effectuer des sorties pour réprimer les abattages clandestins et  la fraude. De nos jours, notre pouvoir se limite aux sites où nous pratiquons l’inspection (ante mortem et post mortem) », a-t-il confié avant d’ajouter que les aires d’abattage situées aux périphéries de la ville appartiennent aux  communes rurales.

 

M. Haro a par ailleurs relevé qu’il existe des zones où l’inspection n’est pas autorisée et qu’il leur  faut aussi le quitus de la mairie. « Dans des zones comme Kilwin, Kamboinsin, Ouagarinter, des citoyens abattent des animaux dans leur cour.  On en est informé, mais on ne peut agir contre. Ce n’est pas possible d’éradiquer le phénomène, mais on peut l’atténuer »,  a-t-il dit, poursuivant que les aires d’abattage de Kilwin, Kamboinsin, Nioko 2 ne sont pas sous contrôle. Yimdi et Koubri reçoivent nos agents vétérinaires, mais il y a un manque criard d’aménagement.

 

Un agent de police, qui a requis l’anonymat, nous a aussi confié qu’à Ouaga, les effectifs retenus pour assurer le contrôle et lutter contre l’abattage clandestin sont constitués mais le manque d’équipements, de moyens les rend inopérants.

 

Selon la directrice de la Santé publique vétérinaire et de la Législation au niveau de la Direction générale des services vétérinaires, le Dr Paré Gisèle, la viande peut être à l’origine d’intoxication alimentaire quand elle n’est pas bien conservée ; s’en suivent alors des diarrhées et des vomissements associés à  des maux de ventre et à la fièvre.

 

Face à une intoxication, le Dr Paré recommande de conduire le patient dans un centre de santé où on va le réhydrater afin d’éviter les pertes en eau et traiter la cause de l’intoxication. « Il faut s’assurer de la qualité de la viande achetée sur le marché. Les animaux tués dans les abattoirs  se distinguent par le tampon qui y est mis par l’agent vétérinaire. Cela atteste que la viande est saine. Le transport, le traitement peuvent altérer la qualité de la viande. Le consommateur doit faire attention à l’odeur, à la texture, à la couleur de la viande avant  tout achat ».

 

En plus du fait que la mauvaise conservation peut être à l’origine d’une intoxication alimentaire, la viande peut causer des maladies zoonotiques qui peuvent passer de l’homme à l’animal ou vice versa. En général, les animaux qui passent sous notre contrôle peuvent être atteints de la tuberculose, des brucelloses, de la cysticercose. Une fois que des carcasses infectées sont détectées, on procède à leur retrait, relate le Dr Paré avant de préciser que l’abattage clandestin est une réalité dans les quatre coins de Ouagadougou, mais que le dernier mot revient au consommateur. « Lorsque vous n’êtes pas sûr de la qualité de la viande, ne l’achetez pas. Les mesures d’hygiène constituent un casse-tête pour les services vétérinaires. La viande est une matière délicate qui doit être traitée dans des  conditions particulières. Partout au Faso, elle est transportée sur des motos et des taxi-motos exposés aux intempéries. Nous sommes en train de travailler à trouver des partenaires qui vont nous aider à sensibiliser les bouchers et les populations », a-t-elle ajouté.

 

Le Dr  Paré  a en outre indiqué que les vendeurs ambulants, les étals qui ne respectent pas les conditions d’hygiène sont à éviter. « Les viandes commercialisées dans les supermarchés sont saines, car provenant normalement des abattoirs modernes. Nous y effectuons souvent des contrôles. Avant que le boucher ne livre la viande, on lui demande un certificat de salubrité délivré par nos services. Les normes de conservation des viandes sont d’environ 2 à 4 degrés Celsius dans les étals. Ces conditions de conservation sont difficiles à respecter sous nos tropiques. Ce qui sauve les populations, c’est la cuisson de la viande durant de longues heures, mais cela n’empêche pas la survie de certaines bactéries résistantes », a-t-elle conclu.

 

Pour le vice-président de l’Association des bouchers chevillards du Kadiogo (ABCK), Ousmane Nikièma, le matériel de l’abattoir est vieux d’une dizaine d’années et ne répond plus aux normes. « Le hall de vente est petit pour la centaine de bouchers. Quand il pleut, nous restons souvent sous la pluie. Le plancher de l’abattoir est dégradé. Par moments, on dépèce les animaux à même le sol. On se retrouve souvent sans crochet pour garder la carcasse suspendue », a-t-il argué avant d’ajouter que des pannes de scie par exemple sur la chaîne d’abattage sont légion, et ceux qui sont censées abattre 50 bovins à l’heure se retrouvent avec plus de 400 têtes en période de fête.

 

Toujours selon M. Nikièma, des 11 chambres froides, seules 2 sont fonctionnelles, mais elles sont dépassées, et en période de canicule, il y a des soucis de conservation. « Les 2 véhicules ne peuvent prendre une dizaine de carcasses. L’un d’entre eux, qui transporte moins de 4 t, était en panne récemment », a expliqué le responsable de l’ABCK soulignant que son association a sollicité un accompagnement du ministère du Commerce, d’ONG pour adapter les tricycles, des échantillons notamment, pour montrer la voie à suivre aux bouchers, mais rien n’a changé. Avec l’insécurité, les budgets ont été réduits.

 

L’une des contraintes des bouchers, c’est le respect des délais de livraison dans les yaars. A partir de 8h, selon eux, les détaillants doivent  entrer en possession de leur produit.

 

 

 

                         W. Harold Alex Kaboré

 

 

 

                                                                                

 

Encadré

 

 

 

Le  fonctionnement de l’AFO selon son DG, Mamoudou Ouédraogo

 

 

 

Comment fonctionnent l’abattoir central et ses démembrements ?

 

 

 

L’A.F.O. n’a pas de démembrements. Sa gestion a été confiée à une société privée, la SO.GE.A.O.  et ce, depuis le 22 octobre 2004. Elle est liée à l’Etat par une convention de concession.

 

 

 

Existe-t-il des chambres froides sur tous les sites ?

 

La SO.GE.A.O. ne dispose pas de succursales et donc pas de chambres froides ailleurs.

 

 

 

Quelle est la politique d’hygiène et de suivi des animaux sur les sites ?

 

 

 

Les abattages effectués à la SO.GE.A.O. sont suivis par  des vétérinaires qui assurent l’inspection des carcasses. Les animaux qui sont introduits à l’abattoir sont identifiés par le numéro des bouchers et par un identifiant de série au moment de l’abattage.

 

 

 

Les bouchers sont-ils formés ?

 

 

 

Ils ont bénéficié d’une formation du Programme d’appui aux filières agro-sylvo-pastorales qui a pris fin en 2017.

 

 

 

Comment s’organise le transport à l’abattoir et dans les périphéries ?

 

 

 

L’A.F.O. dispose seulement de deux camions de transport de viande. Le reste de la viande est transporté par les bouchers avec leurs propres moyens. Le transport doit être réglementé par la commune.

 

 

 

Quelle est votre capacité de production ?

 

 

 

Elle est estimée à 400 bovins, 960 petits ruminants, 200 porcs abattus  par jour, soit une production de 20. 180 t de viande par an.

 

 

 

Propos recueillis par

 

W. H. A. K

 

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