Menu

Tahirou Komi, délégué CSBE Suisse : « Notre système scolaire, hérité de la France, n’est pas approprié »

La situation actuelle au pays l’oblige à sortir de la réserve qu’il a longtemps observée sur les questions nationales, car, estime-t-il, « chaque fils est interpellé au regard de la gravité de l’heure ». C’est ce que pense Tahirou Komi, ingénieur en électricité par ailleurs délégué du Conseil supérieur des Burkinabè de l’extérieur (CSBE), de la question combien brûlante des attaques terroristes au Burkina Faso. De la gestion de l’information au Burkidlim en passant par la nécessité de réformer l’école burkinabè, ce sont autant de sujets que nous avons abordés avec M. Komi à  Lausanne (en Suisse), capitale de l’olympisme mondial.

 

 

En quelques mots, nos lecteurs peuvent-ils faire connaissance avecM. Komi ?

 

Je suis un originaire du Yatenga ayant vécu à Bobo-Dioulasso. Je suis un Foulga et je vis actuellement à côté de Lausanne en Suisse, plus précisément à Villars-Ste-Croix depuis maintenant quarante (40) ans. Je suis Program manager ICT (Techniques de l’information et de la communication) dans une grande société de la place dont vous me permettrez de taire le nom. Je suis par ailleurs le délégué du Conseil supérieur des Burkinabè de l’étranger (CSBE) de la Suisse.

 

En tant que délégué CSBE, quelles peuvent être vos responsabilités ?

 

Le CSBE regroupe les responsables de la diaspora dans le monde entier. Dans chaque juridiction, le délégué CSBE sert de relai d’information  auprès de tous les membres de la communauté. Il est le lien entre tous les ressortissants et le pays via l’ambassade. Et en ce qui me concerne, tout se passe très bien ici en Suisse. La communauté vit vraiment en parfaite symbiose, dans la mesure où l’un des signes de mon mandat est le respect mutuel sans différenciation d’âge ni de catégorie socio-professionnelle.

 

Vous êtes en Suisse depuis quarante (40) ans, comment avez-vous débarqué ici ?

 

Disons que ce n’est pas l’aventure qui m’a conduit ici en Suisse. Je suis venu pour des études à l’Ecole Polytechnique de Lausanne en 1980 avec une bourse d’études d’une année après l’obtention de mon BAC. Nous étions d’ailleurs deux (02), les derniers élèves boursiers de la Confédération helvétique. D’autres sont venus, mais pour le 3e cycle ou un doctorat dans cette même école. Après six ans de formation, je suis sorti ingénieur en électricité, branche dans laquelle l’informatique était aussi enseigné puisqu’il n’y avait pas à cette époque la section informatique. Depuis je travaille en Suisse dans le domaine de l’informatique.

 

Qu’est-ce qui a bien pu motiver votre choix de rester en Suisse plutôt que de rentrer servir votre pays, comme bon nombre de vos compatriotes à l’époque ?

 

Il ne s’est pas agi à l’époque de choisir entre rester en Suisse et rentrer au pays. Quand j’ai fini mes études, une opportunité de travail s’est offerte à moi et je l’ai tout simplement saisie.

 

 

M. Komi, le pays vit une situation sécuritaire jamais vue, du fait des attaques terroristes. Quel regard portez-vous sur cette situation  depuis l’extérieur ?

 

Permettez-moi tout d’abord de présenter mes condoléances aux familles des disparus et à l’ensemble du peuple burkinabè pour le lourd tribut payé chaque jour. Je vous remercie pour cette opportunité qui, pour ma part, m’oblige à sortir de ma réserve pour m’exprimer sur la situation nationale. Je me suis toujours refusé de m’exprimer car très souvent on nous accuse, nous autres de la diaspora européenne, de réfléchir comme des « Blancs ». Cette fois-ci je le fais, car la gravité de la situation interpelle urgemment chacun des fils du pays ; avec le souhait intime que, d’une manière ou d’une autre, mes réflexions servent au commencement de quelque action que ce soit.

J’appartiens à la génération des indépendances, et à cette époque, je pouvais enfourcher mon vélomoteur pour aller à Sindou ou à Banfora dans la sécurité totale. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, car l’idée qu’on peut à tout moment être attaqué en cours de route est là et bien réelle. Aujourd’hui on ne sait plus qui est qui, qui fait quoi, qui initie ces attaques et qui lutte contre ces attaques. En tant que professionnel de l’informatique, j’ai surtout et essentiellement peur de ce qu’il y a comme communication sur internet. Qu’est-ce qui prouve que les informations que nous y lisons ne sont pas des publications des valets des djihadistes pour nous dire qu’il y a un grand danger dans le pays et, partant, installer la psychose au sein des populations ?

 

Voulez-vous dire par là que la menace terroriste n’existe pas ?

 

On ne peut quand même pas nier cette triste réalité. Seulement je veux dire que le terrorisme pourrait être nourri et entretenu par des individus. Il suffit tout simplement d’analyser les contenus des posts pour s’en rendre compte. Sinon comment comprendre par exemple  que des photos de scènes d’attaque montrant des morts ou donnant des informations secrètes  soient diffusées en temps réel ? Qui sont donc ceux qui les postent ? Pourquoi postent-ils sur internet des faits nuisibles et compromettants sur les Burkinabè ? A qui profite le crime ?

 

Justement la loi a redéfini les contours de ce  type de publication, au grand dam dans des professionnels de l’information et de la  communication.

 

Même ici en Europe, ce  type  de publication tombe  sous le coup de la loi. On ne peut pas publier de telles photos sans être sur place, c’est-à-dire sans être un témoin de la scène. Je pars du principe que c’est bien quelqu’un, et non un robot, qui a publié ces images. Et si c’est effectivement une personne physique qui a communiqué ces photos, c’est qu’elle était présente sur les lieux au moment des faits. Qui est-ce donc si c’est le cas ? Si ce sont des gens qui combattent le terrorisme qui ont fait ces publications, quel est l’intérêt qui les a guidés ? Et si ces gens n’ont aucun intérêt à faire ces publications, pourquoi les avoir faites ? Si au contraire ce sont les terroristes ou leurs valets qui font ces publications, et que les FDS ont la certitude que ces images sont vraies, alors on doit pouvoir connaître les origines des posts. Dans cette dernière hypothèse, pourquoi des enquêtes ne sont-elles pas menées pour trouver et punir les coupables ? En tous les cas je parle en tant qu’informaticien dont une des fonctions est la protection des données. En tant que tel, j’estime que le doute est semé à partir de ces publications. Et pour revenir à la loi, je dirais qu’elle pêche en cela qu’elle ne s’intéresse pas à identifier la source de l’information.

 

Au regard de cette situation, quel est, à votre avis, le type de comportement que les Burkinabè devraient adopter ?

 

Je parlerai en tant que Burkinabè qui a passé les deux tiers (2/3) de sa vie en Suisse. Ici donc, notre mentalité est telle que, quand on aperçoit quelqu’un en train de casser les vitres d’une voiture, on appelle instinctivement la police, car on y a été éduqué. Et quand la police interpelle cet individu, elle lui dit tout simplement qu’il a été dénoncé par quelqu’un, sans toutefois lui permettre de connaître la source dénonciatrice. Mais au pays, voyez-vous, ce que j’ai cru comprendre, c’est que les gens ont peur des représailles, car, semble-t-il, les sources seraient livrées, soit directement ou indirectement et on lit par-ci et par-là que c’est « grâce à la population de la localité où les attaques ont été commises ». Comment voulez-vous alors que dans ces conditions la collaboration soit franche et continue puisque dans la plupart des cas les représailles sont automatiques contre ladite population ?

 

Pour vous donc, la gestion des sources d’information reste fondamentale ?

 

Oui absolument. Il faut que l’armée protège ses sources d’information et de dénonciation. Je ne suis pas qualifié pour donner des conseils à nos protecteurs, mais je ne livre que mon ressenti au travers des conversations que j’ai quand je me rends au pays tous les ans. Je souhaite que les sources d’information et de dénonciation soient protégées. Par ailleurs je me suis toujours demandé pourquoi on a du plaisir à communiquer sur les terroristes qu’on attrape ou qu’on met hors d’état de nuire, alors que, très souvent, l’enquête n’est même pas bouclée. Pourquoi donc communiquer en cours d’enquête et ouvrir la possibilité de fuite d’informations compromettantes ? De mon point de vue, la communication doit se faire seulement quand toute l’enquête est bouclée et quand l’information qu’on donne au peuple est disponible, à moins d’avoir des taupes dans les rangs. Par ailleurs, nos vaillants garçons doivent être mieux équipés. C’est là un ensemble de faits qui m’amènent à me poser des questions sur la nature réelle de la lutte contre le terrorisme tel qu’il se manifeste chez nous.

 

Pour vous, quelles valeurs essentielles doit renfermer le Burkindlim, le concept à la mode au Burkina ?

 

Les valeurs que devrait aujourd’hui renfermer le Burkindlim sont les mêmes valeurs que nous ont enseignées nos ancêtres, c’est-à-dire les valeurs de respect de l’autre. Il faut respecter l’autre dans ce qu’il a d’interdit et d’intimité : par exemple, on ne doit pas dire les choses à tout vent. Ce n’est pas parce que tes yeux ont vu quelque chose qu’il faut forcément le dire. L’œil peut voir sans que la bouche parle. La génération actuelle est très pressée, tellement pressée que les gens deviennent dépressifs. Paix à l’âme de mon papa, j’ai toujours gardé de lui ce conseil qu’il me prodiguait sagement : « Quand tu es pressé, va lentement, car la mort te guette sur le chemin de l’empressement ». C’est aussi le conseil que j’ai à prodiguer aux jeunes, surtout dans le contexte actuel de notre pays.

 

Au regard de votre expérience, de quelle manière pourriez-vous être utile au Burkina si toutefois vous étiez sollicité ?

 

En tant que fils du pays, c’est volontiers que je serais disponible d’une manière ou d’une autre. Mais le point sur lequel je m’engagerai tout de suite pour apporter ma modeste part de contribution, c’est l’éducation. Avec le nombre d’années passées en Suisse, je suis en mesure de dire que le système scolaire burkinabè, calqué sur celui de la France, n’est aucunement approprié à notre pays. Nous devons passer au système d’apprentissage en dual, c’est-à-dire deux (02) jours à l’école et trois (03) jours de formation pratique dans une entreprise. Ce système, qui fait ses preuves en Suisse, me semble bien pour le Burkina. Je serais bien disposé à aider le pays à mettre sur pied une structure dans ce sens et ce, d’autant plus que je suis moi-même maître d’apprentissage des informations dans la société où je travaille. On cherchera alors à établir, une fois ce système sur pied, des relations avec de grandes sociétés formatrices tant sur les plans national qu’international pour des collaborations gagnant/gagnant. Pour cela, il faut valoriser cette filière par des salaires attractifs.

 

Une année nouvelle s’ouvre à nous, à savoir 2020. Quels sont vos vœux pour les Burkinabè ?

 

Pour cette nouvelle année 2020, je souhaiterais que le Burkinabè sorte de l’assistanat pour se prendre lui-même en charge. Que la précipitation ne soit pas un facteur d’assistanat ou l’inverse. Que chacun sache que c’est dans le travail qu’on se bâtit. C’est la condition sine qua non. Il n’y a aucune autre possibilité.

Je souhaiterais aussi que les Burkinabè reviennent vraiment au Burkindlim, c’est-à-dire à l’honnêteté, à l’exactitude, au respect mutuel, et cela aussi bien des aînés envers les plus jeunes que des plus jeunes envers les aînés ; au respect des règles de la circulation, au respect des institutions et au respect du Burkina Faso. Et pour ce faire, je proposerais que chaque personnalité soit nommée avec un cahier de charges qu’il s’engage à respecter scrupuleusement et en rende compte publiquement aussi souvent que possible. Parce que, quand on accepte un poste de ministre, c’est un engagement qu’il faut respecter et surtout tenir pour mériter sa place. D’aucuns me diront que les postes de nomination sont donnés en guise de récompense. Oui, c’est vrai, mais même ici en Europe, c’est sur cette base que les nominations sont faites. Mais cela n’empêche pas les nommés d’être compétents à leur poste et de mener à bien ce pour quoi ils ont été choisi.

Le peuple burkinabè est un peuple que j’ai connu vaillant. Le Burkina Faso est un pays où les gens disent la vérité. Il faut qu’on continue de dire la vérité, qu’on continue d’être humble, d’être ce que nos parents nous ont inculqué. En sus, sur le plan de la lutte contre le terrorisme, il faut que les gens acceptent de voir quelque chose sans le dire ni le publier sur le net. Ce n’est qu’à ce prix qu’on va s’en sortir. A l’intention de nos autorités politiques : il faut que l’école burkinabè soit réformée pour permettre aux jeunes d’avoir un meilleur avenir socio-professionnel et ce, au regard de l’expérience que j’ai eue ici.

 

LEGENDES

 

1 : Tahirou Komi, ingénieur en électricité et délégué CSBE de Suisse.

2 : « Pourquoi poste-t-on sur internet des faits nuisibles qui compromettent la lutte contre le terrorisme ? A qui profite le crime ?»

Correspondance particulière

Nelson Dacosta Ralph

Sur la route de la Cohésion sociale

Paris-Genève

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

Retour en haut