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L’homme et l’œuvre: Le retour de Fahrenheit 451

A l’occasion des cérémonies des César 2020, récompensant le meilleur du cinéma français, il est né une polémique du fait que le réalisateur Roman Polanski, recherché pour viol sur mineure depuis 1977 aux USA et poursuivi par une nouvelle accusation, ait été récompensé avec son film J’accuse. Cette polémique questionne le rapport entre l’homme au civil, le créateur et le jugement sur l’œuvre.

 

 

D’entrée de jeu, il est indécent de défendre Thierry Roland Riebling, alias Roman Polanski. Il ne mérite qu’un profond mépris, cet homme, pour son attrait morbide pour les petites filles. C’est, en plus, un pédophile multirécidiviste qui depuis 1977 est poursuivi pour des viols sur mineures dont l’âge oscille entre 14 et 17 ans. C’est, en somme, un mec à vomir, un épicéa pour tout homme de bien et il faut espérer qu’un jour, malgré les puissants soutiens dont il bénéficie dans l’establishment, la justice lui mette la main au collet et le retire du monde, pour qu’il expie les souffrances infligées aux parents et aux jeunes filles.

Cela dit, il faut admettre, même à regret, qu’il est un réalisateur talentueux dont les films enrichissent la cinémathèque mondiale. C’est pourquoi même si l’ogre des petites filles qu’il est doit répondre devant la justice de ses turpitudes, son cinéma, on devrait le juger en restant dans l’enclosure de l’œuvre, sans faire l’amalgame entre le citoyen, l’artiste et l’œuvre. C’est un exercice difficile qui rejette la simplification facile et exige une vigilance tendue pour tenir l’émotion à grande distance. Sans cet effort, sous prétexte de moralisme, on appauvrira le monde de son patrimoine artistique. Par exemple, Louis Ferdinand Céline a eu un comportement antisémite pendant la guerre de 39-45. Ce n’est pas pour autant qu’il n’est pas un grand romancier. Voyage au bout de la nuit reste une des plus grandes œuvres de la littérature mondiale mais Bagatelle pour un massacre est un échec tant au niveau de l’écriture, qui n’apporte rien de nouveau, que  de son ton, qui bave l’antisémitisme.

Ainsi, à suivre les moralistes sur leur pente, on en arriverait à faire advenir un Fahrenheit 451, c’est-à-dire une société où on brûlerait toutes les œuvres sous prétexte que le monde s’en porterait mieux !  Tope-là, jouons leur jeu. On a dit de Leonardo Da Vinci qu’il était le plus grand peintre de la Renaissance et sa toile La Joconde demeure une des œuvres les plus admirées de notre temps. Pourtant, cet homme a entretenu des relations homosexuelles avec de jeunes garçons de 10 et 16 ans, Giacomo Caprotti et Francesco Melzi. Pour cela, devrait-on brûler la Joconde ? Si oui, donc plus de sourire énigmatique de la belle Florentine.  

Que dire alors de Michel Ange, dont l’homosexualité est avérée de nos jours ? Faut-il décoiffer le dôme de l’Eglise de Rome dont il est l’architecte, détruire La Genèse et la Création d’Adam du plafond de la Chapelle Sixtine, réduire en poudre  les sculptures que sont  David, la Piéta et toutes les œuvres de l’immoral Michel Ange ?

Tenez ! Caravage, le maître du clair-obscur, le fameux chiaroscuro, a tué un homme dans un bordel suite à une dispute sur la primauté revenant à l’un ou l’autre de se glisser dans l’alcôve de la catin. Il lui a tranché la jugulaire, le regardant se vider de son sang. Devrait-on jeter toutes ses toiles dans un âtre incandescent ?

Et pour boucler ce chapelet d’artistes pas bons sous toutes les coutures, voilà Jean-Jacques Rousseau, le célèbre détrousseur de servantes, qui a eu cinq enfants avec l’une d’elles, Thérèse Levasseur, que jamais il n’éleva, préférant les confier à l’Hospital Enfants perdus. Pourtant, il a écrit un incontournable essai sur l’Education dont les idées continuent d’irriguer la pédagogie moderne. Et du Contrat social qui est un texte fondateur du socialisme, faut-il le passer par les flammes sous prétexte que son auteur ayant été un père indigne, il ne saurait être un penseur utile à l’humanité ?

A ce jeu, on précipitera plus de la moitié des œuvres du monde dans le feu. Donc il est légitime de s’opposer à tous les mouvements qui tendent à ostraciser des productions artistiques sous prétexte que leurs créateurs ne sont pas des citoyens vertueux. Après cette démonstration par l’absurde, revenons à l’actualité…

Ces dernières années ont vu l’émergence de mouvements féministes tels Me Too aux Usa et Balance Ton Porc en France qui dénonçaient les prédateurs sexuels, la plupart des hommes puissants. On a ainsi cru venu le moment où les femmes ne seraient plus des victimes et l’avènement d’un monde plus juste. Et puis, comme il arrive souvent, on ne trouve pas une position médiane entre l’opprimé et l’oppresseur de sorte que le bourreau et la victime intervertissent les rôles, et se poursuit l’antique injustice. Aujourd’hui, on assiste à la naissance d’une dérive du mouvement  féministe dans les arts qui s’alimente de la haine du mâle et qui confond l’homme au civil, l’artiste et son œuvre. Un amalgame dangereux pour les arts et la culture. Quelques exemples.

Carl Andre est un sculpteur minimaliste dont la femme, un jour de 1985, est tombée du 34e étage pendant qu’il était dans l’appartement. Soupçonné du meurtre, il sera relâché faute de preuves. En 2014, lors d’une rétrospective de son œuvre, un groupe de femmes manifestent contre cette rétrospective sous prétexte que l’artiste est un féminicide.

On dit que l’œuvre de Picasso pourrait être divisée en sept périodes qui sont à rapprocher des sept femmes qui ont été ses muses et qui ont pâti de sa misogynie et de sa tyrannie. On conclut hâtivement qu’il est temps de reconsidérer son œuvre en tenant compte de sa personnalité de prédateur et on intime aux musées d’associer ces dames à ces créations comme…cocréatrices ?

Enfin, il y a eu la polémique sur Gauguin qui, dans son exil doré à Tahiti ; a épousé deux adolescentes avec lesquelles il aurait même eu des enfants. Pédophilie aggravée. Pour cela, un mouvement féministe voulait que l’on ne l’expose plus et l’a fait savoir lors de l’expo « Gauguin Portraits ». Il fallait que son travail artistique pâtisse des errements de l’Occidental qu’il fut et qui s’est donc comporté en maître dans les colonies, à l’instar de tous ses concitoyens de l’époque. Pourquoi poursuivre dans l’art ce qui n’est pas et ne se fait dans d’autres domaines d’activités ?

Pour conclure avec l’actualité, il faut reconnaître qu’il est fort difficile de demander à des victimes de faire preuve de lucidité et de distinguer l’artiste qui reçoit les lauriers sous les vivats de la foule du salaud qui devrait croupir en prison. Il y a facilement une surimpression entre l’homme au civil et l’artiste. Il faut faire le distinguo entre Thierry Roland Riebling et Roman Polanski. Car sans cet effort, ce sera le retour perpétuel des Vandales à chaque époque. Et il n’existera plus de patrimoine artistique et culturel…

Saïdou Alcény Barry

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