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Lutte contre le coronavirus : Dans les entrailles de Tengandogo

 

De 2 cas confirmés le 9 mars 2020, le Burkina Faso est aujourd’hui à plus de 500 personnes touchées par la pandémie de coronavirus. Le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Tengandogo est au cœur du dispositif de prise en charge des malades. Le 14 avril 2020, une dizaine de journalistes ont enfin pu obtenir l’autorisation d’approcher pour la première fois au plus près la gestion de la pandémie.

 

 

 

C’est peu de dire que le CHU de Tengandogo, réquisitionné pour accueillir les malades atteints du Covid-19, était devenu un bunker inaccessible, notamment pour les journalistes. Les seules images ou les récits qui fuitaient de ce bastion médical rapportaient des faits dignes de goulag : des patients abandonnés entre 20h et l’aube, appelant désespérément à l’aide, des malades retrouvés à la morgue sans que leur famille en ait été informée, des toilettes à hygiène approximative, des repas frugaux, voire inexistants. Vrai ou faux, ces récits à vous glacer le sang ont en tout cas fait les choux gras des réseaux sociaux et  de la presse d’investigation. Tengandogo passait pour un mouroir. Une mauvaise publicité qui a sans doute poussé les premiers responsables de la gestion de la pandémie à ouvrir les portes de l’ancien CHU Blaise-Compaoré à quelques médias, dont L’Observateur Paalga, qui depuis des semaines courait derrière une autorisation pour pénétrer dans le célèbre centre de santé.  

 

Rendez-vous est pris pour le 14 avril à 8h 30 où nous retrouvons à l’entrée de l’hôpital une dizaine de confrères.

 

Premier constat, à part le personnel qui doit continuer à faire tourner la machine administrative et les soignants engagés contre le coronavirus, l’établissement ne voit plus défiler la cohorte de malades et d’accompagnateurs qui en temps normal colonisaient la vaste cour. Les choses ont bien changé depuis que le Covid-19 a voyagé de Wuhan à Ouagadougou en faisant bien des escales : les 33 hectares de bâtiments, fruit de l’amitié entre le Burkina et Taïwan, servent uniquement aux besoins de la lutte contre ce nouveau fléau.

 

A proximité de la guérite de l’hosto mis en service le 1er septembre 2011, est fixée l’avant-garde de la riposte à la pandémie : une tente installée par  l’ONG ALIMA (Alliance for international medical action) et qui sert de centre de tri. Le dispositif fonctionnel depuis le 1er avril 2020 permet de contrôler toutes les personnes qui arrivent au CHU parce qu’elles présentent des signes de la maladie la plus redoutée ces temps-ci. Kanta Issa,  le responsable du site, nous apprend que son équipe est passée d’une dizaine de cas reçus par jour à une trentaine, voire une quarantaine. Pour l’instant, en cette matinée, rien à signaler.

 

Deux situations se présentent lorsqu’on se glisse sous cette tente où attendent des toubibs en combinaison. Pour les cas moins graves, après le prélèvement et en attendant les résultats, ils peuvent repartir chez eux avec pour consigne de s’auto-confiner. Pour les autres, ceux qui ont un tableau clinique plus inquiétant, ils devront prolonger leur séjour à Tengandogo, en passant bien souvent  par le service des urgences.  

 

 

 

Dans l’attente

 

 

 

Après plus d’une heure passée par les pisse-copies à se ronger le frein, le Pr Flavien Kaboré apparaît enfin. « Désolé, j’étais en réanimation », s’excuse le responsable du service des urgences. D’une capacité initiale d’une dizaine de lits, son service a été récemment rénové dans la perspective d’un afflux de patients. Mais pour le moment, on est loin de là : « Nous ne sommes pas débordés », rassure l’anesthésiste réanimateur. 5 cas suspects dont 2 sous assistance respiratoire y sont internés. A leur chevet une équipe forte d’une soixantaine de personnes protégées derrière leurs combinaisons ou leurs masques, qui va des chirurgicaux aux FFP2 et aux KN95, plus aboutis, qui se relaient. Un équipement que doit aussi adopter les journalistes pour avoir accès aux confinés qui sont dans l’angoisse de leurs résultats. Casaques, masques, lunettes, bottes et protège-chaussures ne sont pas choses aisées à enfiler  pour le profane et il faut se faire aider par le personnel médical pour pouvoir être aux normes. On étouffe avec cette chaleur sous ces tonnes de plastique à usage unique mais dont l’intérêt protecteur est certain.

 

Après les différents consignes, notamment l’obligation de suivre un circuit bien élaboré pour la visite, nous sommes autorisé à entrer dans la zone  dite rouge, ainsi qu’on qualifie un lieu  où le risque de contamination est élevée. Nous comprendrons plus tard qu’il  y a peut-être deux nuances de rouge : rouge clair et  rouge foncé. En l’occurrence, aux urgences nous sommes plutôt au rouge clair.

 

Sur les 5 patients, un étudiant, Kassoum Dao, hospitalisé depuis quelques heures, accepte de témoigner, le visage plongé, comme sa voisine d’un certain âge, dans un tube par lequel arrive l’oxygène si vital. Arrivé avec des difficultés respiratoires, des maux de tête et des douleurs au thorax, il assure que son état s’est amélioré et qu’il est bien pris en charge par l’équipe médicale. En attendant le verdict du laboratoire, le jeune homme ne pense pas avoir été en contact avec un malade de coronavirus.

 

Dehors, se tournant les pouces sur un banc, son camarade Dominique espère lui aussi que son ami sera diagnostiqué négatif « Depuis vendredi il était malade. Samedi on est allé à l’hôpital, on lui a prescrit des médicaments mais son état ne s’est pas amélioré. Depuis la nuit dernière il n’arrivait plus à respirer et on l’a amené ici », narre l’accompagnateur de sa voix atténuée par le masque. Depuis lors, il n’a plus revu son ami, les visites aux malades étant interdites. C’est un de nos confrères qui lui donnera des nouvelles rassurantes de son ami.

 

 

 

Entre la vie et la mort

 

 

 

C’est le point névralgique du dispositif médical : le centre de réanimation. En cas de complication, la plupart de malades devront leur survie à un respirateur artificiel. Contrairement à d’autres services, nous n’avons pas pu y voir les conditions de prise en charge des cas graves. A l’intérieur du service, aux allures de bunker avec sa porte automatique dont le code est connu des seuls soignants, les visiteurs n’ont pu dépasser la zone verte qui grouillait de médecins. Derrière les vitres, nous indique du doigt Pr Flavien Kaboré, 3 personnes entre la vie et la mort. Un seul a pour le moment été testé positif. Pour les autres, le diagnostic se poursuit. Le Pr l’assure, pour l’heure, son équipe ne manque de rien et le moral est haut. Il avoue pourtant : « La prise en charge des pathologies respiratoires est compliquée ». Fort heureusement, la grande majorité des patients de Covid-19 n’ont pas besoin de réanimation,  le gros lot des testés positifs, soit 41 personnes à la date de notre passage,  est hospitalisé  aux bâtiments 15 et 16 du CHU.  Là, nous sommes dans la zone la plus rouge qui soit au plus près du virus.

 

Au premier étage du bâtiment 15, une vingtaine de malades  sont hospitalisés, des personnes issues de tous milieux et de tous âges : garagiste, journaliste, retraité, etc.  Selon notre nouveau guide, le Dr  Pierre Kaboré, bien que n’étant pas en détresse, ces patients nécessitent une observation particulière. Ceux ne courant aucun danger sont généralement, a-t-il expliqué, transférés à la clinique Princesse Sarah, ex-Genêts qui reçoit également un contingent de contaminés. Le traitement de la plupart se fait selon le protocole national, c’est-à-dire l’association de l’hydroxycloroquine et de l’azithromycine. Un remède qui semble montrer son efficacité sur des malades que nous avons trouvé plutôt en bonne forme et en apparence loin d’être dans un état grabataire.

 

 Trois dames du 3e âge, peu surprises de voir débarquer dans leur chambre caméras et dictaphones, nous le montrent avec leur enthousiasme. Mariam Coulibaly, 69 ans, adjointe administrative à la retraite, internée  depuis deux semaines, a vu l’orage passer. « Elle est maintenant hors de danger », assure son bienfaiteur, le Dr Kaboré, qui nous informe qu’au début sa patiente, qui a vu son beau-frère trépasser des suites de la pandémie, a eu des soucis psychologiques. L’équipe de psychologues qui accompagne infectiologues, pneumologues, médecins internistes, cardiologues, réanimateurs et autres spécialistes a été alors d’un grand secours en l’aidant à remonter la pente. « J’ai eu vraiment peur. Au début, c’était une fatigue générale. Moi-même je plaisantais sur la maladie mais je n’aurais jamais imaginé que j’allais attraper le coronavirus », a confié dame Coulibaly qui se demande toujours où elle a bien pu choper la sale bête. Elle se dit satisfaite de la prise en charge et garde un contact avec l’extérieur, notamment avec son époux, grâce au téléphone portable. Si elle est toujours porteuse du virus, d’autres malades en quarantaine  dans les salles que dessert un couloir éclairé d’une inquiétante lumière rouge, ont vu leur premier contrôle déclaré négatif. Ils croisent les doigts pour que le second le soit également, ce qui serait synonyme de rémission et de retour à la maison.

 

 

 

Amélioration des conditions de vie

 

 

 

En visitant les chambres, nous tombons sur celle du journaliste Issaka Lingani, arrivé au CHU il y a quelques jours, comme il en a plaisanté, « toutes sirènes hurlantes ». Le DP de L’Opinion  récupère visiblement bien. « Ma température est bonne de même que ma tension », nous informe t-il, très heureux de cette visite inopinée de ses jeunes confrères. Lui qu’on connaît pour ses critiques acerbes contre la gestion de la pandémie par le pouvoir, assure que depuis qu’il est là, il note de bons points dans la prise en charge, même si ce n’est pas encore la perfection. « La critique permet d’améliorer les choses », avance celui dont le tapis de prière partage le lit.  Un sentiment que confirme dans la chambre voisine, un (autre) homme de Dieu, en l’occurrence un jeune prêtre diagnostiqué positif. «Que ce soit la nourriture ou les sanitaires, ça s’est considérablement amélioré », se satisfait-il. « On mange bien », ajoute une septuagénaire. Le Dr Kaboré qui reconnaît aussi qu’il y a eu une nette amélioration par rapport aux débuts tient à nous faire visiter les toilettes. Des sanitaires propres, avons-nous pu constater, avec un seul bémol : un des WC est bouché. Le docteur assure qu’un plombier devrait passer incessamment.

 

En quittant les lieux, c’est une ambulance que nous avons croisée avec à bord un nouveau malade qui vient gonfler le nombre des patients touchés par la pandémie. Signe  que pour les médecins le repos n’est peut-être pas pour maintenant.

 

 

 

Hugues Richard Sama

 

 

 

Encadré 1

 

 

«Ordonnance» en défense

 

 

 

A l’issue de la visite, le Pr Adama Sanou, le directeur des services médicaux de Tengandogo, par ailleurs responsable de la commission prise en charge mise en place par le ministère de la Santé pour la gestion de la pandémie, ainsi que d’autres responsables de la riposte sanitaire ont animé une conférence de presse. Un exercice  médiatique qui a pour l’essentiel consisté à répondre aux critiques entendues çà et là. Et voici la première d’entre elles : est-il vrai que les malades sont abandonnés à partir de 20h ? « Nous faisons tout pour que les patients reçoivent les meilleurs soins. Nous avons tout organisé pour qu’il y ait des rounds mais personne n’est parfait. Il y a peut-être des situations où c’est arrivé », s’est-il défendu. Un peu plutôt nous avons posé la même question au Dr Pierre Kaboré, qui nous assurait n’avoir rien vu de tel depuis qu’il est là. « Si cela est arrivé, c’est que c’est un problème de communication », a-t-il laissé attendre, faisant savoir que pour des raisons évidentes, les malades sont enfermés dans la zone rouge. Mais les médecins qui assurent la garde ne sont jamais très loin.

 

L’histoire du décorateur Marvin Sawadogo dont le corps aurait été retrouvé trois jours après son décès a beaucoup ému. Le mémoire en défense de l’hôpital était très attendu : « Je voudrais éviter de parler de ces questions en public et devant les médias », a tenté d’esquiver le Pr Adama Sanou. Avant de faire savoir qu’il existe au sein du CHUT un comité chargé de recevoir les plaintes des familles. « Je voudrais que ce soit la famille qui vienne nous voir pour qu’on puisse les recevoir et leur donner des explications », a-t-il souhaité. S’il reconnaît qu’il peut y avoir des failles, il estime que les problèmes soulevés ne sont pas nouveaux : « Tout ce qu’on dit aujourd’hui, ce sont des choses qui sont dites depuis plus de 5 ans. Les problèmes de plomberie à l’hôpital, ça n’a pas commencé aujourd’hui, les problèmes de manque de moyens pour traiter les patients ça ne date pas d’aujourd’hui ».

 

H.R.S.

 

 

 

Encadré 2

 

 

Dr Pierre Kaboré ou le sacerdoce

 

 

 

Malgré les critiques virulentes sur les réseaux sociaux qui ont fait l’effet d’une incision sans anesthésie sur les Blouses blanches, c’est un personnel soignant motivé que nous avons trouvé au cours de cette excursion au sein du principal centre de prise en charge des personnes infectées par le nouveau coronavirus. Parmi ces anges de la vie qui dans leur combinaison donnaient  le sentiment  d’être parés  comme des cosmonautes, le Dr Pierre R. Kaboré dont l’histoire est un bel exemple de la portée du serment d’Hippocrate. Celui qui nous a servi  à un moment de guide relève en réalité du CMA de Pissy. Aux premières heures de la crise, le jeune médecin qui a été outillé sur la gestion des épidémies, avec notamment des formations à l’extérieur sur Ebola, a fait partie des premiers à se porter volontaire, malgré les risques,  pour combattre le virus à couronne. « C’est un plaisir de venir servir », dit-il modestement.

 

 

 

 

H.R.S.

 

 

 

 

Encadré 3

 

 

Plus facile à porter qu’à enlever

 

 

 

Dans la quasi-totalité des hôpitaux du monde, le personnel soignant, en première ligne dans la guerre contre la pandémie, a dû renforcer ses équipements. Désormais, c’est barricader des cheveux aux orteils que les médecins vont aux contacts des malades. Les visiteurs d’un jour comme les journalistes se sont pliés à cette exigence sanitaire. Si porter la fameuse combinaison relève de l’art, l’enlever est carrément une science. Nous en avons fait l’expérience à l’issue de ce bref passage au CHU de Tengandogo. Chaque élément de la combinaison est retiré selon un ordre précis et selon une méthode donnée. Pendant ce temps le porteur est copieusement arrosé avec un désinfectant pour le débarrasser de possibles germes, qui se seraient fixés quelque part malgré l’interdiction de ne rien toucher dans l’environnement des malades. Il faut compter au moins 5 minutes pour exécuter cet effeuillage.

 

 

 

H.R.S.

 

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