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Murekatete de Monique Ilboudo: Quels mots pour raconter l’indicible ?

Après un séjour au Rwanda en 1998, la romancière burkinabè Monique Ilboudo a produit un roman qui raconte le génocide des Tutsi de 1994 et la difficile reconstruction de la vie des rescapés. C’est un texte fort dans une écriture tout en sobriété.

 

 

En 1998, un groupe d’écrivains africains, dont Boris Boubacar Diop, Abderhamane Waberi, Jean-Luc Raharimanana, Tierno Monemembo, Lamko Koulsi, Véronique Tadjo et la Burkinabè Monique Ilboudo, résident au Rwanda dans le cadre de «Rwanda 94. Objectif : Ecrire par devoir de mémoire », grâce à l’Association du Tchadien Nocky Djedanoum. Ces écrivains font le pari d’utiliser la fiction pour évoquer la tragédie rwandaise afin que la littérature participe à transmettre la mémoire du génocide. Le défi est là, car le matériau de la fiction est là : un pays en lambeaux, un million de morts, des survivants aux corps et âmes meurtris. Mais comment le raconter, avec quels mots ? Paul Celan, poète tourmenté par le génocide juif, se demandait : « comment écrire après Auschwitz ». Sans doute que les écrivains qui se sont coltinés le génocide tutsi ont repris à leur compte cette question.

Le roman de Monique Ilboudo met en scène une femme, Murekatete, qui se raconte après le génocide. Jeune fille au couvent, elle s’amourache de Nicodème, un jeune prêtre qui se défroque pour vivre avec elle. Il meurt en enquêtant sur la mort suspecte de son gendre, le père de Muraketete, un homme politique hutu qui n’était pas en phase avec les extrémistes hutus au pouvoir. Quand survient le génocide, elle perd toute sa famille mais survit grâce à Venant, un soldat du front populaire rwandais, le FPR, avec lequel elle essaie de refaire sa vie. Mais comment revivre après le génocide ? Venant et Murekatete iront sur les traces du génocide en visitant les charniers pour exorciser le passé. C’est donc à travers le regard et les réminiscences de Murekatete que nous appréhendons ce que fut la tragédie du peuple rwandais et le présent si difficile des survivants. Elle est tiraillée entre sa frigidité et ses cauchemars, lui entre son amour et son alcoolisme. Le récit de deux brindilles brinqueballées par les flots du passé et du présent.

Comment écrire l’histoire d’une défaite de l’Humain ? Monique Ilboudo a opté pour un récit de fiction qui assume complètement son rôle de témoin de l’histoire. Ce besoin de témoigner est porté par une écriture sans fioriture, qui renonce à ses apparats pour s’avancer quasi nue ; ce n’est pas l’écriture blanche de Barthes mais elle en est toute proche, car elle ne porte que l’essentiel. En effet, les mots s’avancent avec prudence, de peur de gêner par leur exubérance, de masquer par leur éclat la laideur réelle du monde dans lequel Murekatete se meut. On devine ce que l’écriture de ce récit a dû coûter à l’auteur. Telle aventure, on n’en sort pas indemne. Est-ce pour cela qu’elle a pu évoquer son texte ? Pour ne pas rajouter une gangue de mots banals sur ce récit épuré et vif comme une lame de cautérisation ?

En effet, de la plupart des auteurs, elle est celle qui n’a pas, ou a peu disserté sur cette entreprise. Se taire et laisser le texte faire son chemin, telle a semblé être sa décision. Contrairement à des auteurs comme Wabéri, Diop ou Tadjo qui, au fil des entretiens, sont revenus sur la difficulté d’écrire sur l’indicible.

Aussi avons-nous été quelque peu surpris que l’auteur réédite son roman presque deux décennies plus tard dans son propre pays. En effet, après les éditions Le Figuier de Moussa Konaté en 2000, Murakatete a été publié à Ouadougou par les Editions Seprodif. Et puis, nous y avons vu un lien avec la situation sécuritaire et la dérive identitaire. Et il faut saluer bien bas cette initiative qui offre l’occasion aux lecteurs burkinabè de découvrir à travers ce récit terrible, qui conte avec une grande économie de mots, le dernier génocide du 20e  siècle.

 

Saïdou Alcény Barry

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