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Manifestations pour la réouverture des marchés et yaars : « Notre Covid-19, c’est la faim » (Bibata Keita, commerçante à Naby yaar)

En cette matinée du lundi 27 avril 2020, Dieu seul sait combien d’usagés des avenues Président Babanguida et 56 ont rebroussé chemin. Sortis marcher pour  l’ouverture des marchés, les commerçants de Naby  yaar et de Sankarariar ont bloqué toute circulation autour des marchés. Si les croquants ont aussitôt crié victoire et fondé l’espoir qu’ils pourront ouvrir les étales ce matin même, ils doivent encore patienter une bonne semaine, car, selon le maire central, Armand Pierre Béouindé,  c’est la semaine prochaine qu’ils vont rendre  compte  de la situation au gouvernement avant de prendre l’arrêté pour ouvrir les marchés qui seraient aux normes.

 

 

Juste après l’entrée principale de l’hôpital Saint Camille, impossible d’aller plus loin. A l’aide de pneus, de branches d’arbres et de morceaux de béton, les employés de commerce de Nabi yaar  ont érigé des barrières de fortune. Des jeunes refoulent motocyclistes et automobilistes. « Repartez ! On ne peut pas passer, c’est barré », crient-ils en gesticulant. Tout est bruyant ici, et les commerçants dictent leurs lois. Ici, on foule aux pieds gestes barrières et distanciation sociale. Petits et grands, jeunes femmes ou vieilles se mêlent. Contrairement à ce qui se racontait,  aucune présence policière sur les lieux.

Sous un soleil de plomb, peu après 10 heures, un groupe de femmes  en plein milieu du bitume fulminent de colère. Au point de renier l’existence du virus ! « Au Burkina le coronavirus n’existe même pas », a dit une d’elles. Pas très loin à l’ombre d’un arbre au bord de la route, un groupe d’hommes s’abrite. « Peut-on avoir un des responsables du marché pour un entretien ? » avons-nous lancé aux croquants après un salut d’usage. « Ici, il n’y a pas de responsable. Tout le monde peut se prononcer sur la question tant qu’il est concerné par le sujet», nous réplique un jeune homme d’environ la trentaine. 

De cette poignée d’hommes visiblement remontés contre la fermeture des marchés, qui n’a que trop duré selon les frondeurs, Salifou Yougbaré, un peu élancé et portant  des verres noirs décide de répondre. A peine a-t-il fini de se présenter qu’un homme lui enjoint de quitter l’ombre. « Vas faire ton entretien au soleil. Ainsi  ils sauront que nous sommes au soleil pour protester », lui a-t-il lancé. Pousser jusqu’au milieu du bitume et en plein soleil nous pouvons donc reprendre notre séance de questions-réponses. « Si nous sommes ici,  c’est parce qu’on a fermé les marchés à cause d’une maladie. Ce que nous déplorons, c’est que cette mesure a été prise sans  qu’on nous consulte et sans d’autres conditions.  Nous avons été surpris. Mais nous nous sommes pliés à cette décision gouvernementale.  On nous avait donné le 20 avril pour ouvrir les marchés. Nous sommes aujourd’hui au 27 avril, et il n’en est encore rien. C’est ainsi que nous nous sommes concertés pour donner de la voix ce matin.  Nous n’avons pas de salaire, et nous vivons au jour le jour », a affirmé Salifou Youbaré.

C’est donc pour dénoncer la fermeture de leur ‘’bureau’’, sans soutiens et livrés à la merci de la faim qu’ils ont décidé de protester ce jour. « Nous savons que le mal existe. Et nous aurions souhaité qu’on nous consulte  et nous permette de continuer nos activités tout en prenant  des mesures comme tous les autres services », a-t-il formulé.  

François Tayambou, qui ne s’est pas fait prier pour prendre la parole, soutient que la décision de fermer les marchés a plus exposé les gens au virus. « Dans nos marchés on est distant l’un de l’autre, chacun sous son hangar. Mais quand on a fermé les yaars,  les gens se sont retrouvés au bord des voies assis côte à côte sans la distanciation sociale requise par les autorités. C’est là qu’il y a le risque », a fait remarquer M. Tayambou. Lui, il ne demande  que juste l’ouverture des marchés pour qu’ils puissent joindre les deux bouts et subvenir aux besoins de leurs familles. Même son de cloche pour Zalissa Bagagnan et Saïbata Bonkoungou. Celle qui a enfoncé par contre le clou est cette commerçante qui fait un peu dans la langue de Molière, Bibata Keita.

Très remontée, elle ne cache pas sa colère : « Le Covid-19 du Burkina, c’est la faim. Nous avons fait un mois à la maison, ce n’est pas eux qui nous donnaient à manger. Tout ce que nous voulons et demandons, c’est la réouverture des marchés. Sinon ça va mal tourner », a intimé  Bibata Keita à gorgée déployée.  

Alors qu’à  Naby yaar, ils étaient en pleine protestation, selon leurs dires, leur maire, Alassane Moné, les a rejoints  sur les lieux pour un échange. Tous rapportent  qu’il leur a signifié qu’il ne peut pour le moment dire si leur requête sera exécutée dans les prochaines heures. Mais tous étaient certains qu’ils pourraient reprendre la route des marchés et yaar après leur grogne, c'est-à-dire dès le lendemain. Se sont-ils concertés avant de se lancer dans la protestation ? En tout cas  Il n’y avait pas que ce marché urbain qui était en ébullition en cette matinée. Le marché du 10 et Sankariaré étaient aussi en protestation. 

Deux poids deux mesures dans l’ouverture des marchés

Peu après 11 heures, le blocus sur l’avenue 56 qui longe le marché Sankariaré  est levé. Mais dans la rue, la furie est encore perceptible. Des morceaux de béton  traînent encore sur la route. La police venue contenir la grogne lève son dispositif sécuritaire. Sous les hangars, quelques commerçants conversent en petits groupes. Eux aussi  retiennent presque  les mêmes griefs contre les autorités.

 A la station  riveraine du marché nous retrouvons cet employé de commerce qui a requis l’anonymat. « Cela fait un mois que nous sommes à la maison. Ils promettent de nous donner des sacs de riz. Mais nos difficultés ne se limitent pas au riz. Nous leur demandons seulement d’ouvrir les marchés et les voies pour que nous puissions travailler. Nous avons fini de dépenser ce que nous avions comme argent», a-t-il expliqué. Pour lui, s’ils sont en mouvement  ce matin,  c’est pour  dénoncer ce deux poids deux mesures. « Si on a pu rouvrir Rood-Wooko, on peut ouvrir le marché du 10 et celui de Sankariaré aussi », a déduit le bonhomme.

Ici aussi les propriétaires des étales et boutiques espèrent une bonne nouvelle avant la tombée de la nuit.  « Nous avons levé nos barrières parce que la police nous a assuré que les autorités sont en concertation et que dès demain les marchés seraient rouverts », a-t-il expliqué.

Kafando Abdoul-Moumini, membre du bureau de l’Union des marchés et Yaar, appelle les autorités à la retenue et à ne pas exagérer sur la crise sanitaire. « Nous voyons à travers les réseaux sociaux et les médias  que le mal fait rage ailleurs par milliers.  Mais ici nous avons eu la chance que ce ne soit pas le cas. Nous demandons au gouvernent de desserrer un peu l’étau », a déclaré le jeune commerçant.

A Naby yaar ou à Sankariaré, les croquants, après ce premier coup de semonce, ne s’arrêteront pas en si bon chemin dans leur lutte. Tous déclarent que si demain rien n’est fait pour eux ils  reviendront à la charge avec  leurs manifestations. Mais les commerçants ont vite fait de crier victoire, d’espérer que ça sera immédiat.   Leur impatience durera encore une semaine au moins, si l’on en croit le maire central de Ouaga.

Dans la soirée, les douze maires de la capitale avaient une rencontre à la mairie centrale, d’où plus d’un commerçant espérait  voir la fumée blanche sortir. Mais ce ne fut pas le cas, et la réouverture des marchés n’est pas pour aujourd’hui. « D’abord ce n’est pas parce qu’il y a eu des manifestations ce matin que nous avons tenu cette rencontre. Elle était prévue dans le cadre de la riposte au Covid-19 », a précisé Armand Béouindé à l’issue de leur rencontre.

 Concernant la grogne dans les marchés, il dit comprendre les croquants. « Ils ont raison parce que c’est là qu’ils gagnent leur vie de tous les jours, et ils ont l’impression que nous mettons beaucoup de temps à rouvrir les marchés. Mais notre responsabilité est que ces marchés puissent être ouverts avec la plus grande précaution possible », a expliqué le bourgmestre. Mais s’il comprend leur peine, la réouverture requiert des préalables et ce ne sera pas pour demain :

il faut, entre autres mesures, nettoyer tous ces marchés, instaurer une nouvelle organisation à l’intérieur pour respecter la distanciation sociale, ramener au nombre de deux les vendeurs par boutique.

Mais il se veut rassurant quand à la reprise des activités dans les marchés et yaars. « Nous sommes dans un processus irréversible de réouverture des marchés. Il reste encore quelques réglages à faire », a dit le maire  pour apaiser les esprits déjà surchauffés des commerçants.

Tout compte fait, il faut encore de la patience. «  C’est la semaine prochaine que nous rendrons compte au gouvernement  avant de prendre l’arrêté pour ouvrir les marchés qui seront aux normes », a annoncé Armand Pierre Béouindé  dans la soirée de la journée de protestation.

Pris à contre-pied par cette annonce faite après les rencontres des maires, les commerçants, qui ne juraient que sur la réouverture,  vont-ils remballer leurs plans de protestation ou descendront-ils de nouveau dans les rues?

 

Lévi Constantin Konfé

 

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