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Hôtels et restaurants en temps de pandémie : Ces poumons économiques qui ont du mal à respirer

Villes en quarantaine, couvre-feu, distanciation sociale, ces mesures parmi tant d’autres recommandées par les autorités pour contrer la propagation du Covid-19 ne sont pas sans conséquences pour certains domaines d’activités. Au premier plan de ceux-ci, la restauration et l’hôtellerie. Alors que la maladie a dépassé la barre de 630 cas confirmés à la date du 27 avril, à Ouagadougou, la plupart des établissements hôteliers et de restauration fonctionnent au ralenti, certains ont carrément mis la clé sous le paillasson, réduisant des employés au chômage partiel. Constat.

 

 

Le restaurant d’Oumou Sall n’est probablement pas le plus huppé de Ouagadougou. Mais sa renommée va au-delà du quartier St Léon où il est implanté. Depuis vingt-six ans, «Chez madame Sall», ainsi est nommé l’établissement, la gastronomie africaine est mise à l’honneur. Du à différentes sauces, du couscous, du riz à divers assaisonnements,… Bref, les amateurs de spécialités locales y ont l’embarras du choix.  Sans nul doute, le savoir-faire d’un quart de siècle a concouru à hisser ce resto en une référence pour bien de personnes. Quand certains n’y prennent pas leur déjeuner, d’autres font de la réservation pour des cérémonies. C’est peu de dire, que ce restaurant dit sénégalais draine du monde. Mais cela ne relève que des beaux souvenirs d’avant coronavirus.

 

Un après-midi de ces temps de pandémie, nous y faisons un tour. 13 heures passées d’une poignée de minutes à notre montre. D’ordinaire, c’est une heure de pointe, pour ne pas dire de grande affluence.  Mais le constat est tout autre. Au comptoir, jadis bondé, pas de client. Durant notre présence sur les lieux, un quart d’heure, nous n’en verrons pas un seul d’ailleurs. Ce n’est plus ces jours où il faut patienter de longues minutes durant avant de se faire servir.  Et c’est à peine si les employés ne se tournent pas les pouces.

 

«Si c’est pour voir comment nous fonctionnons par ces temps qui courent, je crois que je ne vous apprendrai plus encore grand-chose en disant que nous n’avons pratiquement plus de clientèle», nous avise dame Sall, d’une mine tout de même sereine. En guise de preuve, elle nous fait remarquer, juste près de nous, un homme de la quarantaine, assoupi dans une chaise. C’est Mohamed Sam, le gérant. «Si vous voyez qu’il a du temps pour s’endormir à cette heure c’est parce qu’il n’y a pas grand-chose à faire», argue celle qui dit employer une quinzaine de personnes dans son établissement.

 

 

Une morosité sans précédent

 

A en croire la restauratrice en chef, Oumou Sall, près de soixante pour cent de sa clientèle a déserté depuis que le Covid-19 est une réalité au Pays des hommes intègres. Du jamais vu en vingt-six ans de dévouement à l’art culinaire, dit-elle, se gardant tout de même de communiquer les chiffres de ses pertes. Suivant une des recommandations des autorités pour faire face au virus à couronne, le peu de clients que le resto continue de recevoir ne peut se restaurer sur place. Les commandes sont mises dans des kits à emporter. Comme pour montrer que cette mesure est ici respectés, la patronne des lieux nous invite à jeter un coup d’œil dans le hall où habituellement les tables à manger sont disposées. Nouvelle configuration : les chaises sont empilées, les tables renversées quand elles ne sont pas superposées les unes sur les autres. Une moto garée au milieu donne l’impression d’un garage abandonné.

 

Autre lieu, le constat n’est pas si différent. Espace Morène, vendredi 24 avril. L’astre du jour est encore au zénith et la canicule est au rendez-vous. C’est habituellement le moment où le parking, plein à craquer d’engins, reflète le nombre important de personnes profitant des bons services de l’établissement. Mais c’est tout sauf  l’ambiance des jours ordinaires. Juste un véhicule et deux motos sont là stationnés. Pas de surprise, l’intérieur du resto ne grouille pas de monde. Tout comme les tables, et les chaises, des caisses de boisson, vides de leur contenu, sont drapées de poussière. Autour des quelques tables dressées, nous nous amusons à compter sept personnes, qui prenant un verre, qui savourant un plat fumant.

 

Honorer les factures, un casse-tête

 

Pourtant, se souvient le patron de l’établissement, Basile Bationo, il fut un temps où difficile était de satisfaire la clientèle, tant nombreuse. « Avant, nous recevions en moyenne 250 clients la journée, et ce chiffre pouvait grimper à 400, voire 500 les week-ends. De ce fait, nous étions par moments débordés », confie le propriétaire. Mais depuis l’apparition du coronavirus, doublée de la batterie de mesures prises pour endiguer le mal, écouler dix plats par jour est devenu un exploit. Du même coup, le sieur Bationo a vu chuter son chiffre d’affaires. Lui qui encaissait 300 000 à 400 0000 F CFA se contente maintenant d’une recette journalière d’au plus 15 000 F. Cette dégringolade, Basile Bationo la voit comme une conséquence directe de la mesure interdisant de se restaurer sur place. « Quand nous disons à certains de nos clients que nous ne pouvons pas faire de la place pour un grand nombre, ils préfèrent repartir tout simplement. Quelques rares personnes appellent pour passer des commandes, d’autres souhaitent  une livraison à domicile mais se découragent d’un coût supplémentaire.

 

Avec une recette mitigée, payer la location de l’espace et régler certaines factures sont devenus un casse-tête pour monsieur Bationo. Pour amoindrir ce choc économique, l’homme d’affaires s’est vu obligé de réduire au chômage partiel une bonne partie de ses 44 employés, en attendant, souhaite-t-il, que la vie reprenne son cours normal. Ainsi, pas plus de quatre personnes, soit un plongeur et trois cuisiniers, assurent le service dans tout l’établissement.

 

Cette crise dans le secteur de la restauration, les établissements haut de gamme ne sont pas les seuls à la subir de plein fouet. Les restaurants dits ‘’par terre’’ ne sont pas épargnés. Chez ‘’Maman de Ouaga 2000’’, une gargote aux encablures du grand marché de Ouagadougou, c’est le désert en ces temps de Covid-19. Avec la maladie doublée du jeûne musulman, c’est maintenant le service minimum, nous fait croire la gérante, Sali Djibo. « La plupart de ceux qui venaient se restaurer ici sont des commerçants du grand marché. Déjà avec la maladie, on voyait défiler peu de clients et la situation a empiré avec le jeûne », explique celle qui dit ne plus s’attendre à des recettes journalières de plus de 5000 F CFA, loin de ce qui était enregistré avant le coronavirus.

 

La clé sous le paillasson

 

Si certains lieux de restauration s’efforcent jusque-là à tenir, ce n’est pas le cas d’autres qui ont dû mettre la clé sous le paillasson. Aux abords de l’avenue Houari Boumediene, nous en avons trouvé un : le restaurant de Chine. Alors qu’il venait juste de verrouiller l’entrée, Chen, le maître de  céans nous fait savoir que l’établissement ne fonctionne plus depuis les premiers jours du Covid-19 au Pays des hommes intègres. « Chers clients, à cause du coronavirus, notre restaurant sera fermé jusqu’au 31 mars », peut-on lire d’ailleurs dans une note apposée sur le portail. Pourtant, nous sommes le 25 avril, et Chen n’envisage pas une réouverture tant que le redouté virus ne relèvera plus que d’un mauvais souvenir, justifiant la fermeture de l’établissement par une faible affluence de la clientèle doublée de la psychose.

 

De la psychose, c’est ce dont le restaurant La perle est victime, de l’avis de son promoteur Jezzini Mahmoud. Ce restau étoilé, faut-il le rappeler, a vu sa réputation écornée par Dame rumeur qui, le 8 mars dernier, y avait trouvé une soirée à haut risque de contamination au Covid-19. A tort, si l’on s’en tient à un démenti de l’administration qui n’avait pas vite tardé. Mais cela n’a visiblement pas estompé la psychose qui, selon Jezzini Mahmoud, lui a coûté 80% de son chiffre d’affaires. Il ne croit pas si bien dire. De la boulangerie au restaurant, en passant par le bar, trois espaces qui font La perle, ce n’est plus le flux incessant de clients. Seulement l’espace boulangerie-pâtisserie est ouvert, les deux autres sont clos. Quid des employés ? Pour ne pas contraindre au chômage la centaine de travailleurs, un système de rotation est instauré à la faveur de ces derniers qui se relaient par groupe  de trente-cinq.

 

Du plomb dans l’aile des hôtels

 

Dans le milieu de l’hôtellerie, les mesures anti-coronavirus ne sont pas non plus sans effet indésirable. En effet, depuis près d’un mois que les villes sont en quarantaine, et que les entrées et sorties des villes sont réduites au strict minimum, la plupart des établissements hôteliers ont, eux aussi, fermé boutique. L’hôtel Amiso de Ouagadougou est du lot. Les jours s’y suivent et se ressemblent. Plus de client. Cela dure depuis près d’un mois. En cet après-midi du 25 mars, l’établissement a ses portes ouvertes. Mais la machine ne tourne pas. Au salon d’accueil, on entendrait une mouche voler. A l’entrée, un vigile nous avait prévenu, « personne d’autre n’est là sauf le patron », Mamadou Tinta. Ce dernier dit être venu constater l’effectivité de travaux de désinfection entrepris il y a quelques jours, en perspective d’une réouverture prochaine.

 

Tant bien que mal, certains hôtels tentent de tirer leur épingle du jeu. Ramada Pearl hôtel peut être cité en exemple. Alors que son voisin d’en face, Pacific hôtel a clos ses portes, ce palace à quatre étoiles n’entend pas mettre à l’arrêt son activité. Pourtant, le service est réduit au minimum par la force des choses. N’eût été la présence du vigile à l’entrée et d’une jeune dame à la réception, on croirait l’établissement abandonné. Le salon d’accueil est désert. A en croire le directeur commercial et marketing, Yeltoli Arthur Somé, les hébergements se comptent sur les doigts de la main. Entre quelques coups de fil de rares clients qui souhaitent faire de la réservation, le chef-marqueteur affiche une mine d’espoir, assurant que l’établissement retrouve peu à peu son train-train, après trois semaines sans voir pointer un seul client. Situation d’inactivité oblige, des congés anticipés sont octroyés à la grande partie des 97 employés que compte l’hôtel. L’objectif de ce réaménagement, selon Yeltoli Arthur Somé, est de relancer la machine avec tout le personnel après cette pandémie qui, en attendant, occasionne un manque à gagner d’environ 8 millions de F CFA par jour.  

 

Rémunération partielle des employés

 

L’offre hôtelière, c’est aussi la location des salles de conférences. Ce volet a, lui aussi, perdu son dynamisme d’avant. Il est même inexistant par endroits. A Palace hôtel, on ne se rappelle plus du jour où ce type de service a été sollicité, d’autant que depuis l’annonce des premiers cas de coronavirus, «toutes les personnes qui avaient fait des réservations pour leurs activités ont vite fait de les annuler», selon le responsable financier, Aimé Nana. Conséquence, ce mastodonte griffé quatre étoiles a vu son chiffre d’affaires au plus bas niveau, passant de 70 à 20% dans les mois de mars et avril. « C’est un fonctionnement à perte parce que nous n’avons pas rempli notre seuil de rentabilité», résume le comptable en chef. Et les dommages collatéraux sont légion : «Un hôtel, même s’il ne fonctionne pas, nécessite de la maintenance. Des problèmes, nous en avons pas mal actuellement. Nous avons nos dettes en banque que nous n’arrivons plus à payer, des factures d’électricité à honorer…», égrène Aimé Nana. Comme ailleurs, des employées ont vu leur gagne-pain temporairement coupé. Ne s’agissant pas d’un licenciement, le personnel, rassure le financier, sera rémunéré  en fin de mois. Sauf que la paie ne sera pas complète, précise-t-il, et ce, au nom d’une entente entre l’administration et les travailleurs.

 

Des pistes pour une relance de la machine

 

S’adressant à la nation en début avril, le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, avait annoncé des mesures visant à amoindrir le choc économique dû à la pandémie. Nombre de ces mesures sont au profit des secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, dont la suspension des poursuites en matière de recouvrement des créances fiscales et de la perception du minimum forfaitaire ; la réduction de 25% de la patente et l’application d’un taux réduit de TVA de 10%. Si tant est que ces allègements sont bien accueillis au sein de la Fédération des organisations patronales de tourisme du Burkina (FOPATB-Burkina), ils restent insuffisants aux yeux de plus d’un. C’est aussi l’avis de Denis Zoungrana du secrétariat permanent de la faîtière, qui déplore le fait que les différentes mesures ne s’étendent que sur trois mois : « Il aurait fallu que les autorités aillent au-delà du court terme, d’autant que même si la maladie venait à être déclarée vaincue, il faudrait du temps pour enregistrer un retour des visiteurs », commente-t-il. Et d’assurer que plusieurs rencontres tenues au sein de la faîtière ont abouti à des recommandations faites dans ce sens à l’endroit du ministère en charge du Tourisme. Mais en attendant, les pertes, dit-il, se chiffrent en termes de milliards de F CFA, en raison d’engagements bancaires et bien d’autres charges « incompressibles ».

 

Bernard Kaboré

 

Encadré

Le redécollage vu par le chercheur Maré

 

S’il est une chose de sûre, c’est que la crise du Covid-19 aura durement éprouvé le tourisme et notamment ses maillons hôtellerie et restauration. Pour la relance de la machine, chacun y va de sa recette et cela ne se passe pas qu’au sein de la Faîtière des hôteliers et restaurateurs. Pour l’Administrateur des services touristiques, Soumaïla Maré, il faudra mettre l’accent sur le secteur informel.

Dans une tribune, le doctorant en tourismeau Laboratoire régional de recherche sur la culture, les arts et le développement (LARECADE) de Lomé, formule quelques recommandations à l’endroit du gouvernement. Ce dernier devra notamment miser sur les mesures budgétaires à même d’éviter la perte des emplois. «Ces mesures pourraient se traduire pour l’Etat et les organismes de prévoyance sociale par une contribution partielle aux charges sociales comprises entre 40 et 80% de la masse salariale des entreprises les plus touchées, selon qu’elles sont en cessation partielle ou totale d’activités », préconise le chercheur.Les emplois indépendants, devraient bénéficier d’un accompagnement spécifique, et il en aurait été de même des entreprises du secteur informel qui regroupent un nombre important de femmes, particulièrement dans la branche de la restauration.  A cela il faut ajouter une garantie de prêt auprès des banques et institutions financières. Cette solution, croit savoir Soumaïla Maré, devra permettre de garantir le banquier contre l’insolvabilité des entreprises aux abois. Et de suggérer que les critères soient clairement définis et les plafonds connus. Car « s’il est admis que l’Etat puisse accompagner les entreprises en difficulté, il reste cependant interdit que ce soutien favorise des entreprises au détriment d’autres et fausse par la même occasion le jeu libre de la concurrence. »

 

B.K.

 

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