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Déplacés internes à Kongoussi : La vie renaît sur les rives du lac Bam

 

La ville de Kongoussi (province du Bam) enregistre des milliers de déplacés qui ont fui leurs localités parce qu’elles étaient en proie aux attaques répétées des djihadistes. Ils sont accueillis et pris en charge sur des sites, hébergés chez des parents ou vivent dans des propriétés leur appartenant. Malgré des conditions de vie difficiles, plusieurs d’entre eux tentent de se reconstruire en se lançant dans des activités sources de revenus. Nous avons pu rencontrer quelques déplacés qui ont raconté comment ils se battent au quotidien pour rebondir sur les rives du lac Bam. C’était le 18 novembre 2020.

    

Farida Irgué(19 ans) et Maïnatou Kogolbéogo (14 ans) sont originaires de la province du Soum, où elles étaient voisines de maison dans la localité de Belhedé  il y a 2 ans. Après les incursions meurtrières répétées des djihadistes, leurs familles, à l’instar de bien d’autres, ont pris la fuite pour se mettre à l’abri dans la province voisine du Bam. Farida était lycéenne en classe de 5e et Maïnatou venait de décrocher le CEP, son premier diplôme.  Accueillies sur le site des déplacés de Loulouka (quartier périphérique de Kongoussi), les 2 jeunes femmes sont restées inséparables. Le rêve qu’elles nourrissent de poursuivre leurs études semble compromis, mais elles ne veulent point désarmer. « J’ai eu une bonne moyenne et je tenais à poursuivre mes études. J’en ai parlé aux parents mais sans grand espoir car consciente de notre situation difficile. Pas d’argent, telle fut leur réponse », a-t-elle confié dans un long soupir qui traduisait sa déception. Maïnatou a 14 ans et dans sa voix fluette, impossible de déceler la moindre  note de regret du mariage précoce que les parents lui ont imposé il y a 6 mois. Farida aussi s’est résignée, acceptant un mari choisi par la famille depuis maintenant un an. Leurs maris respectifs ont migré à Ouagadougou où ils travaillent comme manœuvres dans le BTP. Farida et Maïnatou sont inséparables comme des sœurs siamoises. Elles ont toutes deux trouvé un emploi dans un petit café-restaurant où chacune gagne 15 000 F CFA  le mois. L’orpaillage pratiqué dans la province est source de revenus pour beaucoup de jeunes, certes, mais il a fait gonfler la masse monétaire ce qui rend leurs salaires dérisoires. La conséquence directe de ce phénomène, c’est la hausse des prix des denrées alimentaires, une forte disparité des revenus et la cherté de la vie. Les jeunes femmes dans leurs tentatives de reconstruire leurs vies, fondent leurs espoirs sur leurs conjoints. Ces derniers reviennent périodiquement à Kongoussi pour de brefs séjours. Avec le temps, elles espèrent quitter le site, où il n’y a aucun confort de vie. Trouver un gîte ailleurs en ville où elles auront une vie familiale normale est leur rêve. Cependant, elles espèrent que la longue absence des époux  retarde les premières grossesses, ce qui leur permettra de poursuivre leurs études. Mais, auront-elles le courage et la force de persuasion nécessaires pour amener leurs maris à épouser leurs rêves ? Dans le regard des jeunes femmes,  on pouvait lire des interrogations sans réponses. Elles veulent qu’une main leur soit tendue mais le temps passe inexorablement. A la fin de nos échanges, une seule question nous a été posée par Farida : « Et vous à votre niveau, qu’est-ce que vous pourrez faire pour nous ? »

 

Juché sur sa moto de marque Sanyli, Corenthin, notre guide, a pris la direction de Risiam et nous le suivons. Pas de poussière car la route n’est pas bitumée mais est bien faite. Notre visite avait été annoncée au vieux Karim Ouédraogo, patriarche d’une nombreuse famille. L’histoire de sa fugue qui ressemble à tant d’autres, semble avoir déjà été contée mais chacune d’elle garde un caractère unique. Selon lui, Belhedé (province du Soum), qu’il a quitté précipitamment, est comme une petite « oasis » dans le désert car l’agriculture et l’élevage y réussissent bien. Mais un jour, il a été alerté par un proche ami de l’imminence d’un danger qui le guettait, car il était dans le collimateur d’un groupe djihadiste qui écumait la zone. Transporté par un voisin à moto, il a immédiatement quitté Belhedé pour son village natal non loin de Risiam dans le Bam. Le même soir, sa famille a reçu la visite annoncée des hommes enturbannés.  Ils sont repartis en emportant le bétail de plus de 60 têtes de bovins et 200 têtes de caprins qu’il avait mis des décennies à constituer. La famille n’a pas opposé de résistance aux assaillants et tout le monde grâce à ce comportement a eu la vie sauve. Heureusement pour elle, 2 des vaches ont regagné par miracle le bercail les jours suivants. La famille a apprécié à sa juste valeur cet attachement des bovidés mais elle s’est vue contrainte de les vendre afin de s’offrir les moyens financiers pour organiser la fuite. Grâce au chef de Risiam, le vieux Karim a pu s’intégrer de nouveau dans le tissu socio-économique de son village natal de Yougnénoré qu’il avait quitté il y a 30 ans. Les terres arables pour la culture  céréalière qu’il a pu acquérir en brousse sont situées très loin des habitations, mais les récoltes sont assez bonnes. Il s’est inquiété de la diminution des dotations en vivres assurées par les services sociaux, mais affirme qu’il tiendra le coup.  Le  Risiam Naaba a promis de lui trouver davantage d’espace, lui qui dans son clan compte au moins 60 membres, fils et petits-fils y compris. Armé de patience, le vieil homme est en train de reconstituer lentement mais sûrement sa fortune perdue. Pour avoir eu la vie sauve, il remercie infiniment le bon Dieu et confie qu’il ne remettra plus jamais les pieds à Belhedé même si la situation sécuritaire venait à se régulariser. «C’est ici que je finirai mes vieux jours», a-t-il marmonné d’un air triste.

 

A l’issue de nos échanges, le vieux Karim a accepté de poser devant notre caméra en famille mais quand nous lui avons demandé de se détacher du groupe pour un portrait, il a eu une  petite hésitation. Serait-ce une peur qui l’habite encore ?Il nous a remerciés de l’initiative de la rencontre qui permet de faire connaître le sort non enviable qui est le leur.

 

Regma Sawadogo a 2 épouses et 15 bambins mais, en plus, il doit s’occuper des 16 enfants et des 3 épouses de son petit frère tué lors d’une attaque terroriste à Zimtanga, dans le département de Bourzanga (province du Bam). En débarquant à Kongoussi avec toute cette marmaille et tant de bouches à nourrir, Karim savait bien que c’était une vie difficile qui commençait. Fort heureusement pour lui, un cousin natif de la ville les a accueillis et hébergés pendant un bout de temps. La maisonnette de 24 tôles qu’il vient de construire à l’aide de ses frères ne suffit pas pour héberger tout ce grand monde. Mais il préfère avoir un peu de liberté dans l’espace restreint qu’offre ce petit lopin de terre que lui a vendu son cousin. A cet endroit, il dit être à l’aise, car sur  les sites d’accueil qu’il connaît de loin, ses amis qui y sont hébergés veulent s’en libérer. L’intégration de Regma et de sa nombreuse famille semble une réussite malgré les difficultés. Toutefois, celui-ci veut retourner à Zimtanga dès que possible pour une vie normale. Il a fait déjà plusieurs voyages pour sonder le terrain. Depuis l’attaque meurtrière qui les avait fait fuir, il y règne un calme relatif et nombre de déplacés ont pu regagner leurs domiciles.

 

 

 

Dieudonné Ouédraogo

 

 

 

 

 

 

 

Encadré

 

 

 

Corenthin, l’hôte submergé

 

 

 

«Un jour je suis revenu du travail et j’ai vu devant ma porte un camion ramasseur de sable  qui déchargeait sa cargaison. Outre les bagages, il y avait des femmes et des enfants de mon cousin Règma de Zimtanga. Quand je l’ai appelé pour avoir plus d’informations, il m’a décrit brièvement la situation, ajoutant que lui-même débarquerait ici à Kongoussi les jours suivants.» C’est en ces termes que Corenthin Sawadogo, le sexagénaire a commencé son récit quand nous l’avons approché, lui qui s’est vu contraint de prendre en charge des dizaines de déplacés.  Selon son récit, 3 jours après l’arrivée des premiers déplacés, Règma Sawadogo, son cousin a débarqué avec les membres restants de sa nombreuse famille. Submergé, lui-même étant à la tête d’une famille forte de 13 membres, il ne savait plus où donner de la tête face à  l’innombrable foule. Il a dû chercher à Bango, son quartier, un endroit où accueillir une partie de ses hôtes.  Au bout du compte, Corenthin a pu leur trouver de la place dans 3 maisons avoisinantes et la situation a pu se décanter. L’hébergement, entièrement à ses frais, a duré 2 longues années. Regma a pu vendre une partie de son bétail abandonné à Bourzanga et a acheté un lopin de terre sur lequel il a construit et emménagé avec certains membres de la famille. Aujourd’hui, 6 des jeunes déplacés sont restés avec Corenthin. Ils ne sont pas mariés, donc moins encombrants. « En cette saison sèche à Kongoussi, il y a la culture maraîchère qui est assez pénible et peu lucrative.  Les jeunes préfèrent aller creuser sur les sites pour chercher de l’or. Le site du village d’Algha est celui qui est le plus proche. Ils y font des allers et retours car, dans la brousse,  ils ont peur des racketeurs qui écument la région », a confié Corenthin. Les sites aurifères de Houndé et de Boromo sont dans leur ligne de mire. Selon Corenthin, ces jeunes déplacés sont dynamiques et pleins d’ambitions. Chacun d’eux est déterminé à gagner beaucoup d’argent pour  se faire une nouvelle vie après avoir échappé au pire à Bourzanga.

 

 

O.D.

 

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