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Crise du sens, des modèles et des idéaux au Burkina : Le piège de la religion comme solution

 

Le Burkina, de nos jours, est marqué par le fait que le sens est devenu juste de l’encens qui s’est dissipé, les réflexions sur les idéaux de l’existence humaine sur terre qui galvanisaient les populations ont tari. C’est du moins l’analyse de l’Association pour la tolérance religieuse et le dialogue interreligieux (ATR/DI), signée par le Dawelg Naaba Boalga, Issaka Sourwema.

 

 

 

 

Les différentes étapes de la vie des Voltaïques d’abord et des Burkinabè ensuite ont été marquées par des systèmes de représentations correspondant à des périodes précises du cours politique du pays. Ainsi, de 1932 à 1947 le rêve commun des habitants de la désormais ancienne colonie de la Haute-Volta était la reconstitution de ladite colonie partagée entre la Côte d’Ivoire, le Mali et le Niger. A cet effet, un large front comprenant les chefs traditionnels et coutumiers, les cadres locaux de l’administration coloniale, certains responsables de l’église catholique, etc. a émergé et a servi de fer de lance au combat. Même si d’énormes pans du territoire ont été cédés par le colonisateur aux trois (03) pays, la colonie a été au final reconstituée en 1947.

 

Puis, s’en est suivie la lutte pour l’indépendance qui était synonyme de liberté pour tous, de progrès économique, de répartition équitable des richesses nationales, de souveraineté nationale et de reconnaissance internationale en tant qu’Etat disposant des quatre (04) attributs suivants : un gouvernement, une population, un territoire et un espace aérien. Pour ce faire, un vaste mouvement qui transcendait les spécificités socio-ethniques, politiques, syndicales, culturelles et régionales, à l’image de celui qui avait vu le jour pour revendiquer la constitution de la colonie de la Haute-Volta s’est formé et a œuvré, en dépit des multiples défis de l’époque, pour conduire la République proclamée le 11 décembre 1958 à l’indépendance le 05 août 1960.

 

 

 

Au lendemain de l’indépendance

 

 

 

Une fois l’indépendance acquise et avec l’accession du président Maurice Yaméogo au pouvoir du fait du décès brutal du président Daniel Ouézzin Coulibaly à la veille de l’indépendance, les contradictions politiques qui rythmaient les relations entre les partis politiques voltaïques d’une part et d’autre part l’administration coloniale opposaient désormais les différents partis politiques voltaïques dont la création était motivée par la conquête et la gestion du pouvoir  politique au profit du peuple, source de légitimité de toute autorité élue. C’est dans ce contexte qu’en plus des partis politiques légaux d’orientation généralement libérale (l’Union démocratique voltaïque/Rassemblement démocratique africain du président Maurice Yaméogo et le Mouvement du regroupement voltaïque/Parti du regroupement africain de Nazi Boni) qui ont servi de cadres de mobilisation pour la conquête de l’indépendance, est né en 1957, un parti politique clandestin, le Mouvement de libération nationale (MLN) de Joseph Ki-Zerbo d’orientation social-démocrate (que ses adversaires qualifiaient de communiste) . Plus tard en 1963, naissait, à l’initiative de Adiouma Amirou Thiombiano, le Parti africain pour l’indépendance (PAI) d’obédience communiste assumée. D’autres formations politiques ont ensuite vu le jour : l’Organisation communiste voltaïque (OCV) en 1974, l’Union nationale pour la défense de la démocratie (UNDD) en 1977, le Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV) et l’Union des luttes communistes (ULC), tous créés en 1978 et frères ennemis nés de la scission intervenue au sein de l’OCV. On peut y ajouter des groupuscules communistes ou progressistes apparus après l’avènement de la Révolution démocratique et populaire (RDP) sous la direction du Conseil national de la révolution (CNR) ou de l’arrivée au pouvoir du Front populaire. Enfin, plusieurs autres partis politiques ont été créés à la faveur de la libéralisation de la vie politique du pays au début des années 1990 et sous la IVe République. Tous les groupes politiques se réclamant du communisme étaient clandestins ou illégaux jusqu’au tournant des années 1990 où seul le PAI avait franchi le Rubicon en choisissant d’exister légalement même si son orientation idéologique relevait désormais du socialisme démocratique.

 

 

 

Les acteurs avaient toujours su raison garder

 

 

 

Certes, des plaintes et des complaintes en relation avec la répartition des richesses nationales par le gouvernement ou liées aux stéréotypes et préjugés collés à certains groupes sociaux pouvaient être entendues çà et là. Toutefois, elles n’avaient jamais atteint un niveau susceptible de remettre en cause l’objectif partagé de construire ensemble une nation commune résultant du brassage harmonieux des différents groupes socio-ethniques. Du reste, c’est cette volonté qui a fait voler en éclats le projet de sécession du pays dont le Mouvement autonomiste de l’Ouest (MAO) était le porteur. Par ailleurs, malgré les multiples changements anticonstitutionnels (coups d’Etat) et non-constitutionnels (insurrections) de régimes qui se sont parfois soldés par de graves atteintes aux droits humains, le mieux-vivre ensemble, le renforcement de l’Etat et la construction, à terme, de l’Etat-nation n’avaient jamais été fondamentalement ébranlés. Au sein des populations burkinabè de quelque condition qu’elles fussent, il y a du sens dans le comportement. En d’autres termes, elles rêvaient de la même destination, nourrissaient le désir d’écrire la même histoire, faisaient de leur vivre-ensemble une de leurs raisons d’être…

 

En outre, les contradictions entre les acteurs sociaux avaient toujours été essentiellement d’ordre politique et idéologique et les débats animés par les mouvements étudiants et syndicaux avaient pour objet de savoir quel type de collectivité politique convenait à notre pays. Dans cette lancée, les doctrines politiques et économiques que sont le libéralisme, la social-démocratie, le socialisme et le communisme étaient au menu de la chronique qui défrayait la cité.

 

 

 

Du sens, des modèles et des idéaux

 

 

 

Au plan international et historique, Karl Heinrich Marx, Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine, Mao Tsé Toung, Enver Hoxha, etc. étaient les modèles. En Afrique, ce sont Amilcar Cabral (Guinée-Bissau et Cap-Vert), Patrice Lumumba (Congo-Léopoldville, de nos jours république démocratique du Congo), Kwamé N’Krumah (Ghana), Sylvanus Olympio (Togo), Sékou Touré (Guinée-Conakry) … qui faisaient l’objet d’admiration pour leur engagement dans la lutte pour l’émancipation des peuples africains. Enfin, dans notre pays Daniel Ouézzin Coulibaly, Nazi Boni, le commandant Moumouni Ouédraogo, le capitaine Noël Isidore Thomas Sankara (avec les capitaines Blaise Compaoré et Henri Zongo et le commandant Boukari Jean-Baptiste Lingani), etc. constituaient des modèles.

 

Par-delà les modèles et le sens, les différents courants correspondaient à des idéaux ou projets de société en ce qu’ils offraient une représentation relativement cohérente de l’édifice national à construire, de la façon de fonctionner de celui-ci ; tout cela soutenu par des valeurs comme l’intégrité, la solidarité, la tolérance. En somme, ces idéaux de société se voulaient des projets alternatifs (censés être plus justes) au modèle de société dominant de l’époque.

 

Mais hélas, mille fois hélas. Le Burkina de nos jours est marqué par le fait que le sens est devenu juste de l’encens qui s’est dissipé, les modèles sont devenus des phénomènes crépusculaires, voire inexistants et les réflexions sur les idéaux de l’existence humaine sur terre qui galvanisaient les populations ont tari au profit des projets de société céleste censés justifier les massacres de masse au nom de la religion et de la lutte contre les injustices de toutes sortes. Comme le disait Friedrich Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra, « Il existe en l’homme une structure archaïque qui fait de lui un enfant, un être pauvre prêt à se jeter dans toutes les aberrations pourvu qu’on lui fasse miroiter un minimum de plaisir. » Autrement dit, trouver dans l’imposition, par le biais de massacres humains et de destructions de biens meubles et immeubles, d’une religion des raisons de vivre ici-bas avec la certitude de se voir ouvrir grandes les portes du paradis traduit, à l’évidence, un manque de repère de la société burkinabè et l’incapacité des acteurs politiques à faire jouer à l’Etat ses rôles régaliens. Chacun, le gouvernement en tête, devra donc œuvrer à son modeste niveau afin que l’adage selon lequel « Plus la nuit devient noire, plus l’aube approche » soit une réalité. Et vite !

 

 

 

Fait à Ouagadougou, le 05 décembre 2021

 

 

 

Pour le bureau national

 

 

 

 

 

Issaka SOURWEMA

 

Dawelg Naaba Boalga

 

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