Menu

Recherche en santé : Le Pr Tinto notre scientifique de l’année

 

Il fait incontestablement partie des personnalités les plus remarquables dans les domaines de la science, de la technologie et de l’innovation dans le monde. Pharmacien de formation, le Pr Halidou Tinto est le fondateur de l’emblématique Unité de recherche clinique de Nanoro (URCN). Par ailleurs directeur régional du Centre-Ouest de l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS), il a récemment été promu professeur honoraire de l’Institut de médicine tropicale d’Anvers en Belgique. Le Pr Tinto et ses équipes conduisent des essais cliniques aux standards internationaux. Chef d’orchestre du comité pluridisciplinaire de mise au point du vaccin R21/Matrix-M, très avancé, et qui constitue un grand espoir en matière de lutte contre le paludisme, cet enseignant chercheur de 53 ans, est auteur et coauteur de 223 publications et de 2 livres dont la grande majorité est consacrée au paludisme. Les résultats concluants de ses recherches lui ont d’ailleurs valu de nombreuses distinctions au plan international. Celui qui fait la fierté de son pays, le Burkina Faso auquel il a décidé de consacrer ses connaissances alors qu’il avait une bonne proposition de travailler aux Etats-Unis, nourrit encore de grandes ambitions pour le secteur de la santé. Pour tous ces accomplissements, nous l’avons choisi comme notre scientifique de l’année. 

    

 

 Racontez nous brièvement votre parcours professionnel.

 

 

 

 Je suis pharmacien de formation et titulaire d’un doctorat unique (PhD) en sciences médicales. J’ai commencé ma carrière dans la recherche en octobre 1995 lorsque j’ai rejoint le Centre Muraz pour y effectuer les travaux de ma thèse de doctorat en pharmacie et ceux de mon Diplôme d’études approfondies en sciences biologiques (Biochimie et Microbiologie appliquée). Après l’obtention de ces deux diplômes en 1998, j’ai travaillé de 1999 à 2000 au ‘’Royal Danish school of pharmacy’’ à Copenhague au Danemark dans le domaine du développement des thérapeutiques alternatives pour le traitement du paludisme. A partir de 2001, j’ai été recruté comme Attaché de recherche à l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) du CNRST. De 2003 à 2006, j’ai travaillé comme assistant à l’Institut de médecine tropicale (IMT) d’Anvers en Belgique, où j’ai effectué des recherches sur l’épidémiologie de la résistance des antipaludiques au Burkina Faso ainsi que sur les mécanismes de la résistance au Rwanda dans le cadre de mon doctorat unique (PhD) en Sciences médicales. C’est également à cette période que je me suis spécialisé en Recherche clinique avec la Vienna school of clinical research de l’Autriche. Après l’obtention de mon PhD en 2006, je suis rentré au bercail où j’ai créé en 2008 l’Unité de recherche clinique de Nanoro (URCN) qui conduit des essais cliniques aux standards internationaux (ICH/GCP). Depuis sa création, l’URCN a conduit avec succès plus de 40 études et emploie à ce jour plus de 300 personnes. De 2013 à 2014, j’ai occupé les fonctions de directeur scientifique du Centre Muraz. En 2016, j’ai été promu directeur de recherche au CAMES et j’interviens comme enseignant associé à l’université Nazi Boni de Bobo-Dioulasso et à l’institut de médicine tropicale d’Anvers en Belgique où j’ai récemment été promu professeur honoraire. Depuis 2017, j’occupe les fonctions de directeur régional du Centre-Ouest de l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) à Nanoro.

 

 

 

Vous êtes connu au Burkina comme le monsieur « vaccin palu ». Parlez nous de cette expérience.

 

 

 

Mes travaux de recherche sur le paludisme ont commencé dès mon jeune âge lorsque j’ai rejoint le Centre Muraz en 1995 pour y effectuer les travaux de ma thèse de pharmacie sous la supervision du Prof Tinga Robert Guiguemdé qui m’a initié à la recherche sur cette maladie et je profite de votre canal pour lui rendre un hommage pour avoir contribué à faire de moi ce que je suis. Au début, j’ai surtout travaillé sur les mécanismes de résistance du parasite du paludisme (le plasmodium) contre les antipaludiques et plus particulièrement contre la chloroquine. Ce sont justement les résultats de nos travaux qui ont abouti en 2005 au changement de la politique de traitement du paludisme simple au Burkina Faso avec le retrait de la chloroquine et son remplacement par les combinaisons thérapeutiques à base d’Artémisinine. Ces résultats m’ont d’ailleurs valu le prix (d’un montant de 5000 euros) de la société de pathologie exotique basée en France qui était attribué aux jeunes chercheurs de moins de 35 ans.

 

 

 

D’où vient cette motivation à éradiquer le paludisme ?

 

 

 

Après mon expérience au pays, j’ai effectué un passage au Danemark où j’ai travaillé à la faculté de Pharmacie sur les cultures parasitaires pour tester et isoler des molécules actives pour le traitement du paludisme. C’est de là que sont partis mon intérêt et ma passion pour la recherche clinique avec la volonté de proposer des alternatives pour la prise en charge du paludisme face à la progression de la résistance. C’est ainsi qu’après l’obtention de mon PhD en 2006, alors même que j’avais une bonne proposition pour aller travailler à l’université de Ohio aux Etats-Unis, j’ai entrepris de rentrer au pays pour créer l’URCN avec le soutien financier de la Coopération Belge qui m’a accordé une bourse post-doctorat (Re-entry Grant). Mes premiers pas dans le domaine de la recherche sur les vaccins ont justement débuté à cette période lorsqu’après une compétition avec d’autres sites en Afrique, le site de Nanoro que je portais a été sélectionné avec 10 autres pour tester le premier candidat vaccin contre le paludisme en Phase 3 développé par la firme pharmaceutique GSK en Belgique. Le financement obtenu à travers ce projet auprès de la fondation Bill et Melinda Gates via la Malaria Vaccine Initiative (MVI) nous a permis de construire et d’équiper l’URCN pour en faire ce qu’elle est aujourd’hui ; c’est-à-dire un centre de recherche clinique de référence mondialement connu et respecté. Le succès de ce premier essai vaccinal nous a ouvert les portes à d’autres financements et de nombreux autres essais cliniques dont le plus récent porte sur le candidat vaccin R21/Matrix M qui est développé en partenariat avec le Jenner Institute de l’université d’Oxford (Royaume Uni) qui a synthétisé la protéine R21. Je profite de cette occasion pour exprimer ma reconnaissance au Pr Basile Guissou (Délégué général du CNRST en son temps) et au Prof Jean-Bosco Ouédraogo (Directeur de l’IRSS à Bobo-Dioulasso en son temps) qui m’ont activement soutenu dans mon initiative de création de l’URCN. Je profite également pour rendre un hommage aux autorités du CMA (Centre médical avec antenne chirurgicale) Saint-Camille de Nanoro qui nous ont accueillis et hébergés dans leurs locaux jusqu’à l’érection du campus qui abrite aujourd’hui les bureaux de la Direction régionale du Centre-Ouest de l’IRSS.

 

 

 

Au regard de ce rôle prépondérant que vous jouez, peut-on attribuer la paternité du vaccin au Burkina ? 

 

 

 

Non. On ne peut pas attribuer la paternité du vaccin R21 au Burkina Faso même s’il faut reconnaître notre contribution majeure aux résultats qui ont été obtenus. Comme indiqué plus haut, il s’agit ici d’un partenariat qui a impliqué plusieurs acteurs avec l’université d’Oxford. Il y a ensuite la firme américaine Novavax qui est le fabricant du Matrix M que nous avons utilisé comme adjuvant pour l’administration du vaccin et enfin l’URCN au Burkina Faso qui a été au bout de la chaîne avec la conduite de l’essai clinique pour dire si oui ou non ce vaccin est efficace et peut être utilisé en toute sécurité. Autrement dit, c’est notre équipe de par son expertise dans la recherche clinique qui a géré toute la partie consacrée aux essais cliniques, y compris notre participation à la finalisation du protocole de l’essai en passant par les vaccinations et le suivi des enfants, la production et la gestion des données jusqu’à la production du rapport et de l’article qui a été publié dans le Lancet et qui m’a valu d’ailleurs tous les nombreux prix que j’ai obtenus à travers le monde au cours de cette année 2021. La reconnaissance de notre rôle se voit d’ailleurs à travers justement la position des coauteurs dans l’article publié dans le Lancet où j’occupe la dernière place qui signifie dans le langage scientifique que je suis le chef d’orchestre des résultats qui ont été publiés.

 

 

 

A quel stade de la mise en œuvre du vaccin en êtes-vous aujourd'hui ?

 

 

 

Après la publication des résultats de la phase 2 où nous avons démontré que le vaccin R21 était efficace à 77% et avait un bon profil de sécurité, nous avons entamé la phase 3 en avril 2021, prévue pour durer 3 ans et qui va se dérouler sur 5 sites répartis dans quatre pays d’Afrique (Burkina Faso, Kenya, Mali et Tanzanie). Dans ce cadre, au total 4800 enfants de 5 à 36 mois seront vaccinés et suivis pendant 2 ans. Si à terme du suivi nous arrivons à confirmer les merveilleux résultats que nous avons obtenus en phase 2, nous allons avancer vers l’enregistrement et la mise sur le marché de ce vaccin au profit des populations.

 

 

 

Entre-temps l'OMS a recommandé l'administration d'un vaccin RTSS. Or le vôtre est le R21/Matrix-M. Cela a beaucoup porté à confusion. Pouvez-vous nous éclairer là-dessus ?

 

 

 

Il y a effectivement plusieurs personnes qui m’ont approché pour comprendre ce qui se passait.Ce que les gens doivent comprendre c’est que le RTSS qui a fait l’objet d’une recommandation d’utilisation par l’OMS est le premier vaccin produit par GSK et qui a été testé en phase 3 au Burkina Faso ainsi que dans 10 autres sites en Afrique entre 2009 et 2014, avec une efficacité de 39%. A l’issue de cette phase 3, l’OMS a estimé que bien que l’efficacité soit modeste, il méritait un déploiement dans l’attente d’un vaccin de deuxième génération plus efficace. C’est ainsi qu’elle a entrepris de le déployer en phase pilote au Kenya, en Tanzanie et au Ghana où plus de 800 000 enfants ont été enrôlés, vaccinés et suivis. Les résultats ont permis de démontrer que RTSS pouvait prévenir 30% des cas de paludisme grave, sachant que ce dernier est la cause des 400 000 décès rapportés chaque année dans le monde. L’OMS a considéré qu’une réduction des cas de paludisme grave de 30% pouvait conduire à éviter plus de 100 000 décès par an et que de ce fait, ce vaccin pouvait être déployé à grande échelle en attendant l’arrivée sur le marché d’un autre de deuxième génération plus efficace comme le R21 que nous sommes en train de tester actuellement en phase 3 et dont les premiers résultats seront disponibles en 2023.

 

 

 

A très bientôt donc pour l’administration des premières gouttes ?

 

 

 

Après la recommandation de l’OMS, il faut mettre en place le mécanisme de financement qui va permettre de mobiliser les ressources financières nécessaires pour la production et la distribution de ce vaccin qui, à l’image des autres vaccins administrés actuellement dans le cadre du programme élargi de vaccination, devra être entièrement gratuit pour les enfants qui seront en âge d’en bénéficier. Ce financement sera assuré dans le cadre de l’alliance GAVI avec qui l’OMS vient de conclure un accord. Il faut donc compter encore au moins un an sinon deux pour qu’il puisse être mis à la disposition des populations.

 

 

 

Vous êtes également auteur de plusieurs publications. Outre le palu, quelles sont les autres questions de santé que vous abordez ? 

 

 

 

Je suis en effet auteur et coauteur de 223 publications et de deux livres dont la grande majorité est consacrée au paludisme dans ses aspects épidémiologiques, de prévention, de diagnostic et de traitement. Toutefois, avec tous les efforts qui sont en train d’être déployés ces dernières années dans la lutte contre le paludisme, nous anticipons déjà sur le fait que cette maladie  ne sera peut être plus un problème de santé publique majeure dans quelques années. A cet effet, ces 5 dernières années nous avons décidé de diversifier notre portfolio de recherche en prenant en compte d’autres maladies comme les infections bactériennes, les maladies cardio-métaboliques et plus récemment la Covid-19 pour laquelle nous nous sommes beaucoup investis depuis l’apparition de la pandémie au Burkina Faso en 2020.

 

 

 

Vous croulez littéralement sous le poids des distinctions. Présentez-nous les plus récentes.

 

 

 

Après mon admission à l’Académie africaine des sciences, le 10 août 2020, j’ai obtenu 4 distinctions en 2021. La première m’a été attribuée le 28 octobre 2021, par le « International achievements research center » basé au Canada, qui m’a consacré « meilleur scientifique » en sciences de la santé de l’année 2021. C’est une distinction qui vient récompenser les résultats de l’ensemble de mes travaux scientifiques et notamment ceux dans le domaine des essais cliniques des médicaments et des vaccins au fil des années, ainsi que mon engagement pour l'excellence et dont le point culminant a été la publication en avril 2021 de nos impressionnants résultats sur le vaccin R21 contre le paludisme qui a démontré une efficacité jamais atteinte dans l’histoire de 77%. C’est tout cela qui a motivé le jury à me primer comme gagnant 2021 de ce prestigieux prix dans la catégorie « Sciences médicales et de la santé/Sciences de la santé ».

 

La deuxième reconnaissance m’a été accordée par Jeune Afrique qui m’a désigné parmi les « Games changers » 2021 de l’Afrique pour mon combat contre le paludisme et notamment mes travaux sur le vaccin R21.

 

 La troisième que j’ai obtenue le 17 décembre 2021 en tant que lauréat de la médaille de « The Name in science 2021 » a été décernée par l’Academic Union, basée à Oxford en Angleterre. Cette distinction est faite aux personnalités les plus respectées dans les domaines de la science, de la technologie et de l’innovation pour leur contribution personnelle à la recherche scientifique, les réalisations personnelles dans le développement de la science nationale, ainsi que la contribution à la résolution des problèmes sociaux, politiques et économiques, régionaux et mondiaux.

 

La quatrième distinction est celle du titre de Professeur honoraire à compter de janvier 2022 qui m’a été accordé par l’Institut de médecine tropicale d’Anvers en Belgique.

 

 

 

 A l'approche de 2022, quels sont vos vœux pour le Burkina ?

 

 

 

Mes pensées vont à l’endroit de ces millions de déplacés internes à cause de l’insécurité que vit notre pays avec de nombreux morts enregistrés chaque jour. J’exprime le vœu que notre pays retrouve la paix en 2022 afin de permettre à toutes ces familles de réintégrer leurs domiciles car il n’y a rien de plus affligeant et de plus humiliant pour un être humain que de se voir réduire à la mendicité pour assurer sa survie et celle de sa famille. J’ai mal au cœur de voir ces millions d’enfants parmi lesquels auraient sans doute émergé de futurs grands chercheurs pour notre pays abandonner l’école à cause de la situation sécuritaire.

 

Dans le domaine de la santé plus précisément, j’ai une pensée pour ces millions d’enfants qui continuent de souffrir du paludisme malgré les efforts de lutte qui sont déployés depuis plusieurs années avec l’espoir que le vaccin R21 qui est actuellement en essai clinique de phase 3 viendra faire en sorte que les milliers de décès enregistrés chaque année ne soient plus qu’un mauvais souvenir. Bonne et heureuse année 2022 à tous et que Dieu bénisse le Burkina Faso.

 

Alima Séogo née Koanda

Tél. : 79 55 55 51

Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

Retour en haut