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Quatre Yeux de Bitibaly Adrien: De l’autre côté du miroir

Le photographe Adrien Bitibaly, en collaboration avec le Goethe Institut, a investi les murs de l’unité de formation en lettres, arts et communication de l’université Joseph Ki-Zerbo avec une expo photo baptisée « Quatre Yeux » sur la sorcellerie. Des photos en noir et blanc sur l’univers de la sorcellerie.

 

 

Le thème de la sorcellerie est au cœur de la culture burkinabè et on peut dire qu’Adrien Bitibaly s’engage dans un chemin longtemps balisé par les artistes et penseurs burkinabè.  Faut-il rappeler que le premier livre de la littérature burkinabè, paru en 1934, avait pour titre Le secret des sorciers noirs, avec pour auteur Dim Dolobsom, et que la troisième fois qu’un film burkinabè était en sélection à Cannes en 2005, c’était Delwendé, Lève-toi et marche, un long métrage de Pierre Yaméogo sur la sorcellerie ? Par ailleurs, toute l’œuvre romanesque de Bali Nébié évoque cette pratique. Et tout Burkinabè connaît la maison tenue par des sœurs de l’Eglise catholique qui accueille de vieilles femmes chassées de leurs communautés parce que accusées d’être des mangeuses d’âmes. La sorcellerie est présente dans les arts et dans le quotidien.

Toutefois, il y a la face bien connue de la sorcellerie, celle des victimes. Mais Bitibaly fait le choix de passer de l’autre côté du miroir, là où se tient le tribunal qui accuse : chez les prêtres et guérisseurs, ces procureurs qui condamnent et excluent.

L’expo, intitulée Quatre Yeux, en référence à la capacité des sorciers de voir au-delà du visible, c’est une trentaine de photos en noir et blanc issues des pérégrinations du photographe dans différentes régions du pays : le Nord, le Centre-Ouest et le Centre-Sud, chez les peuples gan. Il expose tous les artefacts qui interviennent dans les pratiques cultuelles liées à la sorcellerie. Le bosquet sacré est là, dans la lumière du soir, une lune comme un œil de cyclope dans le ciel, les arbustes et les herbes entrelacés au milieu d’une clairière. On trouve aussi les plumes de volaille maculées de sang, le couteau du sacrificateur gisant à côté, de même que les cauris étalés sur un tapis pour la divination, le billet de 500 F CFA comme tarif de la consultation, un doigt qui montre la géographie aléatoire des éléments éparpillés sur la natte.  Et là, deux portes entrebâillées, mais l’intérieur dissimulé derrière un rideau :  ce sont les cabinets de consultation où se scellent et se descellent des destins… Sur d’autres clichés, on peut voir les autels et les fétiches.

Le photographe a fait le choix de photographies de grande dimension en noir et blanc. Deux couleurs propices pour interroger la magie noire et la magie blanche. Celle qui est du diable et celle qui relèverait du bien.  Et ce blanc et noir est approprié pour évoquer ces choses de l’ombre que l’on voudrait mettre dans la lumière.

Et comme le photographe a une bonne maîtrise de la technique, il repartit bien la lumière et réussit à donner au noir toutes ses nuances.  Comme cette photo d’un prêtre, assis devant sa case, silhouette massive s’inscrivant dans le clair-obscur. Ces avant- bras avec des doigts bagués et une partie de l’habit sont dans les zones de lumière. Mais le visage semble flotter dans une zone de ténèbres et tenter d’émerger de la lumière. Entre ombre et lumière, son image semble appartenir tout autant au royaume de la nuit qu’à celui du jour. Oscillant entre le sorcier blanc et le noir, entre le Bien et le Mal. Sans que le photographe le confesse, ses photos montrent que dans ce domaine-là, les frontières entre le Bien et le Mal sont bien poreuses et que parfois sans l’Ange, il y a la fourche du Diable.

C’est une belle exposition dont la scénographie utilise l’ocre et le jaune des murs pour mieux mettre en valeur le blanc et le noir des images. Elle reste à l’Université jusqu’au 21 mai 2022.

On quitte l’expo en se disant que si la photo entend parler de la sorcellerie, elle en a bien le droit. Et même la légitimité. Car pour ceux qui croient à la sorcellerie, le photographe a longtemps été perçu comme un sorcier : c’est un voleur d’âmes. Alors entre voleur d’âmes et mangeurs d’âmes, la rencontre ne peut être qu’ensorcelante !

Saïdou Alceny Barry

 

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