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Issouf Diéro: Le dilemme de l’artiste africain

Lartiste plasticien récupérateur Issouf Diéro expose dans la rotonde de lInstitut français de Ouagadougou du 13 mai au 4 juin 2022. Entre toiles sculptées, tableaux « ready-madées », installations et fresques peintes, on découvre une vraie caverne dAli Baba et une évolution artistique faite demprunts et doriginalité. Oscillant entre singularité et nécessité dentrer dans le marché de lart, son exposition témoigne de cet écartèlement de lartiste africain entre ancrage local ou inscription dans le global.

 

 

Diéro est un artiste singulier dans la récup de pneus. Nous lavons découvert avec son exposition baptisée Pneuvolution, les traces du temps, hébergée par le Kunstraum 229, lespace dexposition de lInstitut Goethe de Ouagadougou, en janvier 2018. Il portait une proposition originale et une démarche singulière qui ont séduit plus dun amateur dart. Il travaillait avec les pneus, les utilisant comme matériau fini de ses œuvres en y intervenant a minima.  Des œuvres monochromes que lon pourrait inscrire dans la file des travaux de Pierre Soulages. Cette expo fut, sans doute, le début dune ouverture de lartiste à linternational.

Mais avec le temps, dans son désir de prospecter dautres territoires et d’élargir le spectre de son travail, celui-ci na pas voulu creuser sa singularité, de sorte que les œuvres actuelles baignent dans une palette de couleurs très large et intègrent dautres matériaux de récupération. Ainsi, les sculptures faites avec le pneumatique ont pris le vert acide du bronze et agissent en trompe-l’œil. Et on sent des influences diverses dans cette exposition. Là, un bidon gondolé ainsi que deux cauris représentant des yeux font penser aux masques bidons de Romuald Hazoumé, dautres toiles font songer aux œuvres dAbdoulaye Konaté inspirées des tenues des chasseurs du Mandé.

Mais l’œuvre la plus surprenante et la plus éloignée de son univers est celle intitulée « Peuple », une fresque constituée de plusieurs centaines de classeurs sur lesquels lartiste a peint des portraits, des visages et qui ressemble à un grand album du monde. Cest une fantasia de couleurs, où le jaune, le bleu, le rouge, le rose, le blanc et le noir alternent et offrent une sorte de tapis chamarré.

Mais au-delà de la beauté plastique de l’œuvre, cest le discours quelle porte qui sinscrit vraiment dans une thématique universelle. En effet, sur chaque classeur, lartiste a peint un portrait pour dire que chaque vie est archivée, les principaux actes de lindividu classés et le tout rangé dans un casier. Une critique de lEtat moderne et de son administration qui fige une vie en la résumant en quelques actes administratifs (naissance, emploi, mariage, décès, etc.), comme le dénonçait Michel Foucault dans Surveiller et punir.

Mais lartiste Diéro a conscience que, tel Antée, il a besoin de rester en contact avec le sol natal pour créer. Cest pourquoi lartiste a conservé son atelier dans la cour familiale, où tout a commencé. Lors du festival Ganamayan, dont il est le fondateur, nous lui avons rendu visite dans cet atelier. Ce jour-là, nous avons trouvé la mère de lartiste assise sous un manguier, devisant avec des visiteuses, des enfants courant dans tous les sens, des poules fouillant le sol à la recherche dhypothétiques graines. Cest là aussi que samoncellent les œuvres de lartiste, et les rebuts de pneus et de ferraille, le matériau sur lequel il travaille. Cest dans cette cour que le jeune Diéro, fils de vulcanisateur, a commencé à créer des œuvres, le soir, à sa descente.

Entre ancrage dans le local et ouverture au marché international, lartiste africain est écartelé entre le besoin dici et dailleurs. Ainsi, à  linstar dIssouf Diéro, lartiste africain est contraint à une sorte dubiquité sil veut créer pour sa communauté et pour le monde.

 

Saïdou Alcény Barry

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