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Micro-fiction: La Mélodie du silence

Voici venir les vacances. Au lieu de faire la recension des livres, il est tentant de produire des micro-fictions à partir des extraits prélevés de ces livres. Sur le mode de lingénierie cellulaire, il sagit de reconstituer un organe à partir dun tissu ou dune cellule souche. Ainsi dune phrase prise au hasard dans un livre, Projecteur se propose de générer des récits.

 

 

Dans Le Chercheur dAbsolu de Théodore Monod, à la page 18, il est écrit « « Au contact des peuples, il a appris un chant, celui du silence ». Cest ce passage qui donne naissance au récit ci-dessus.  

Cela sest passé le 21 février 1974 dans une petite ville à lintérieur du pays. Javais 17 ans et je ne savais pas que je serais peintre car à l’époque je voulais devenir chanteur. Jappartenais à lunique formation musicale de la ville ; j’étais le plus jeune lead vocal. Tall Moutaga, célèbre interprète a aussi fait partie de cet orchestre, les Blues Brothers, lors de son bref passage au CEG de la ville.

Ce jour a fondamentalement changé la vie de tous ceux qui comme moi y ont pris part. A cette époque, il y avait trois établissements scolaires avec internat dans tout le département du Nord, le collège Antoine Roche, le CEG et le Collège Sainte-Marie. Antoine Roche et le CEG étaient deux établissements rivaux. Cette rivalité en sport, en art, aux examens se justifiait par le besoin de briller auprès des jeunes filles en fleurs du collège Sainte-Marie tenu par les bonnes sœurs de la mission catholique. La géographie même accentuait cette opposition : Antoine Roche était à la lisière de la ville, en pleine brousse, le CEG était au cœur de la ville et la Sainte-Marie trônait en haut de la colline. Voilà le complexe triangle amoureux des jeunes scolaires de cette ville.

Cette fameuse nuit, un concours de chant opposait les jeunes des deux établissements. Chaque candidat avait le droit de reprendre un tube bien connu ou prendre le risque de chanter sa propre chanson. De manière générale, la plupart des candidats reprenaient les chansons des stars congolaises Tabu Ley telles Lal abi ou Permission, Tantie Carolina de Georges Ouédraogo, Rock oclock de Bill Haley, Love money cant buy des Beatles.

Le public reprenait en chœur les paroles de ces tubes connus de tous, certains dansaient et battaient la mesure des mains et des talonsMoi, jattendais mon tour dans les coulisses.  Javais répété Saturday Night Fever des Bee Gees et j’étais assez confiant. Un blouson noir sur l’épaule, un polo bleu-blanc de marin, un blue jean, des santiags aux pieds. Et un bandana rouge autour du cou. Javais composé mon look en empruntant une fringue par-ci, un accessoire par-là, à mes ainées et mes amis. Mon reflet dans le miroir des toilettes ma convaincu que mon look était parfait.

 

Le chant du silence

 

Quand vint mon tour, je mengageai dans le couloir, les bruits de la salle tel un souffle puissant maspiraient et me repoussaient. Je débouchai dans laveuglante lumière de la scène et me dirigeai vers le micro. Jentendis ensuite le présentateur crier mon surnom : Johnny Teranova. Des hourrah dans la foule. Ce sont  les élèves du Collège Antoine Roche. Quelques sifflets : le CEG. Et des applaudissements feutrés : les filles de la Sainte-Marie.

Je pris le micro, poussai la voix mais aucun son ne sortit de ma bouche. Les mots, ces traîtres, n’étaient plus dans mon corps, ils étaient partis. Alors je levais les bras en V et fermais les yeux, espérant retrouver mon texte. Mais rien ne vint. Je me sentis dans un puits, quelque chose de noir, dobscur mais lentement comme on descend pour toucher le fond dune piscine. Cela dura un bon moment. Lorsque je repris pied, jouvris les yeux, saluai le public et repartis en coulisse tout honteux de navoir pu chanter. A ma grande surprise, des applaudissements maccompagnèrent. La salle pulsait comme la peau dun gros tambour sous la furie des paumes dun musicien déchaîné.

Je quittai la salle de spectacles et rentrai à la maison sans attendre. Le lendemain, jappris par les médias que jai été sacré meilleur chanteur de la ville !

Le lendemain, je tombai sur un article de presse avec ma photo à la une avec ce titre : La Mélodie du silence.

Larticle évoquait un concours de chant où  un sourd-muet avait, contre toute attente, remporté le micro dor.

Il y était écrit : « Un jeune homme svelte, habillé comme Marlon Brando dans lEquipée sauvage monte sur la scène. Quelques élèves dans le public le reconnaissent, des rires étouffés fusent. Il semble que ce jeune homme, était un élève brillant et un bon interprète de la pop anglaise ; malheureusement une méningite contractée lannée passée la laissé en vie mais a emporté sa belle voix. Mais le jeune homme ne se démonte pas. Il savance vers le micro, règle le pied à la bonne hauteur et lève les bras en croix et linimaginable se produit. Comme sil aspirait le bruit, le brouhaha se meurt et sinstalle un grand silence. Et le silence comme à se faire sentir, pas audible mais sensible. Il se fait chant, il monte dans les airs, s’étend comme un élastique que lon étire et se fait rythme. Le public est pris par la musique du silence. Il dodeline de la tête, lentement et puis bouge des mains et des pieds et puis semporte. Des gens tournent sur eux-mêmes comme des derviches.

Et le jeune homme, à un moment, a ramené ses deux bras devant, les paumes jointes pour saluer et se retirer. Cest en ce moment que le silence a disparu, et le bruit a reflué comme une haute vague sur la rive et a envahi la salle. Le jeune homme semblait tenir le silence dans ses paumes jointes comme le ferait un enfant, dun papillon, avec délicatesse, pour ne pas abîmer ses ailes mais avec assez  de fermeté pour quil ne senvole pas.

C’était du jamais vu, un sourd muet qui fait chanter silence ! Dautres parleront de séance dhypnose, dautres encore de magie. Et le jury la couronné. »

Saïdou Alcény Barry

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