Menu

Amahiguéré Dolo: Un suicidé du marché de l’art

Le 21 août 2022, le célèbre sculpteur malien tirait sa révérence à l’âge de 67 ans, laissant derrière lui une œuvre peu connue sur le continent, mais célébrée en Europe. Aux premiers moments de gloire de lartiste avait succédé les temps du mépris du marché de lart. Aussi la vie et la mort de lartiste malien doivent-elles interroger le statut de lartiste africain et surtout son rapport au marché mondialisé de lart.

 

 

Tout commence dans un village dogon en haut de la falaise, à Gogoli. Là, naît Amahiguéré dans une famille dagriculteurs dogons. Après avoir perdu plusieurs enfants en bas âge, survient Dolo qui survit. Lenfant est doué des mains et il sait fabriquer des objets avec le bois mort. Mais dans la société dogon, lui qui nest pas de la caste des forgerons na aucune légitimité pour être sculpteur. Même quand il entrera à lInstitut national des arts de Bamako, il optera pour la peinture pour ne pas contrarier sa famille. Il passera une dizaine dannées à Gao, au Nord-Mali, comme fonctionnaire du ministère de la Culture.

Mais lappel de la sculpture sera plus fort et finalement il démissionnera de son poste pour sinstaller comme sculpteur à Ségou. Les Africains parlent de la mémoire de leau pour dire quelle noublie jamais son chemin ; ainsi on a beau détourner son cours, un jour, elle reprendra son ancienne voie pour rejoindre le fleuve. Ainsi en va-t-il de la passion. Pendant des années, Amahiguéré cognera dans le bois pour en faire surgir des formes inspirées de la cosmogonie dogon. Mais cest un sculpteur anonyme.

 Il le serait resté si un regard occidental ne s’était posé sur son travail. En 1988, lartiste catalan Miquel Barcelo débarque chez lui en quête de renouveau, sinscrivant dans une tradition occidentale qui consiste, pour les artistes occidentaux, à se ressourcer au contact dautres cultures. On se rappellera lorientalisme aux 18e et 19e siècles qui a imprégné le romantisme, le japonisme des nabis et particulièrement de Paul Bonnard, et de Gauguin à Tahiti, et les cubistes ainsi que la statuaire africaine, etc.

Barcelo débarque à Gao et Dolo linitie aux arts dogons et à la cosmogonie dogon. Lui, sculpte tandis que Barcelo peint. Les amis de Barcelo découvrent aussi le travail de Dolo. Tandis que lartiste catalan caracole au sommet du marché de lart, Dolo aussi sexpose de plus en plus. Il sexporte en Europe. Télérama et Cimaise sintéressent à son travail. Méconnu chez lui, il devient un artiste reconnu en France, en Italie, en Espagne. Il a une expo permanente aux Tuileries de Paris, Jacques Chirac lui a même acheté une œuvre !

Mais, en 2000, présent à Paris pour participer à une  expo, il se rend compte, en visitant lexpo de Barcelo, que lami a usurpé son travail. Trois de ses poteries sont exposées comme étant des créations de Barcelo. Il le dit. Il assure quune expertise trouvera lempreinte de ses doigts sur les œuvres.

On lignore. Le marché de lart ne veut pas dune polémique qui va faire chuter la cote dun Barcelo qui est dans les plus grandes collections du monde. Le Mali, son pays, ne fait rien. Laffaire est toujours pendante devant les juridictions. Pour le marché de lart, Dolo a rompu le contrat faustien qui le liait à Barcelo et doit en payer le prix. Et par petites pelletées, le monde de lart va lensevelir sous une bonne couche doubli. A partir de ce moment, il vit difficilement, narrive pas toujours à honorer les factures deau et d’électricité.

Lilliputien dAfrique, ayant osé défier le géant dEspagne, il connaîtra le sort du pot de terre qui se cogne au pot de fer.  Il rejoint le martyrologe dartistes africains célébrés un temps par lOccident et lâchés en pleine ascension tels Yambo Ouologuem lorsquil a voulu saffranchir des règles de l’édition, Sony Labou Tansi quand il a choisi le camp de Bernard Kolela contre Sassou NGuesso, le pion dElf.

Parlant de la mort de Van Gogh, Artaud disait quil est « un suicidé de la société ». DAmahiguéré Dolo, on pourrait dire à juste raison quil est un suicidé du marché de lart La vie et la mort de ce sculpteur malien devraient amener le monde de lart africain à comprendre que tant que le marché local ou continental de lart ne sera une réalité, les artistes africains seront les jouets du marché occidental de lart.

 

Saïdou Alcény Barry

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

Retour en haut