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Caporal Saboué Massa: Le chauffeur de Diendéré entendu hier

Après 7 ans au service du général Diendéré en tant que chauffeur, le caporal Saboué Massa a fait hier une halte à la barre du tribunal militaire pour sa complicité présumée dans le coup d’Etat manqué de septembre 2015.

 

 

Des quatre conducteurs du général Diendéré, le caporal Saboué Massa est le seul à être poursuivi pour son rôle présumé dans le coup d’Etat de septembre 2015 dont son « patron » serait l’ordonnateur. Pèsent sur le chauffeur les charges de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, de meurtres et de coups et blessures volontaires. Plaidant non coupable, le caporal a indiqué qu’il n’était pas de service le 16 septembre, date où les éléments de l’ex-RSP ont interrompu le Conseil des ministres et  pris en otages les autorités de la Transition.

Dans l’après-midi, il aurait reçu un appel de son chef de service, l’adjudant-chef Vincent Simporé, qui lui enjoignait de le rejoindre au bureau. « Je me suis rendu au service. Il m’a dit qu’apparemment ça n’allait pas à Naaba Koom II et que le quartier était  consigné. Il m’a ordonné de rejoindre mon poste au domicile du général Gilbert Diendéré où j’étais affecté depuis 2008». L’accusé a affirmé être resté au domicile de Golf, attendant son tour de passage au volant puisque les chauffeurs du chef militaire se relayaient toutes les 48 heures. C’est ainsi que, le 19 au matin, il a relevé le soldat de 1re  classe Pakiswendé Congo pour conduire le cerveau présumé du coup d’Etat. Mais le caporal a maintenu qu’à ce moment-là il ignorait tout de ce qui se passait, tout juste a-t-il remarqué que la sécurité avait été renforcée autour du général. Se remémorant son agenda pendant les événements, il a expliqué avoir à son tour été relevé, puis a repris ensuite le volant le 27 septembre.

Il est resté aux côtés du général Diendéré le 29 septembre jusqu’à son entrée à la nonciature. Le soldat sera ensuite arrêté par la gendarmerie à Bobo-Dioulasso, où il était affecté, alors qu’il se renseignait sur les conditions de voyage en Côte d’Ivoire.

La religion du parquet est faite : le caporal Saboué Massa voulait déserter parce qu’il se reproche quelque chose. « J’avais mes projets », dira l’accusé sans s’épancher longuement sur ses intentions. Et son avocat, Me Babou Bama, de demander : « Est-ce qu’il n’a pas le droit d’aller à la gare pour se renseigner ? »

Si le caporal jure avoir ignoré que les événements de septembre 2015 s’apparentaient à un coup d’Etat, le ministère public l’a confronté à ses déclarations devant le juge d’instruction. Il y affirme avoir vu à la télévision la déclaration de prise du pouvoir du CND lue par le colonel Bamba le 17 septembre.

Revenant sur les différentes sorties effectuées par le mis en cause, le président du tribunal, Seidou Ouédraogo, a voulu en savoir un peu plus sur le déplacement que le chef du CND a effectué chez le Moro Naaba.

Selon le conducteur, au sortir de l’audience avec le roi des Mossé de Ouagadougou, les éléments de l’ex-RSP ont constaté que des manifestants s’étaient massés devant la porte principale du palais. Il a assuré que les croquants étaient suffisamment loin et qu’ils n’ont pas eu de contact avec eux, mais que le convoi a été obligé de quitter le palais par une porte dérobée. Sur le chemin du retour, l’accusé dans ses propos devant le juge d’instruction avait informé qu’un coup de feu avait été tiré depuis un véhicule du cortège aux environs de l’hôtel Eden Park. Il précisait qu’il y avait à cet endroit des barricades mais pas de manifestants. Chose qui surprend le procureur militaire qui ne voit pas l’intérêt de gaspiller une balle s’il n’y avait pas de manifestants. En réalité, selon le parquet, qui promet d’y revenir en temps opportun avec des images, un citoyen a été tué ce jour-là au même endroit.

 

« Quand on conduit, c’est qu’on voit bien »

 

Interrogé, au regard de son rôle au moment des faits,  sur les personnalités civiles ou militaires qui ont rendu visite à Diendéré pendant le putsch, l’accusé a affirmé ignorer tout. « Je suis conducteur, je n’ai pas souvenance  de ça». Réaction du procureur militaire : « M. Saboué, quand on conduit, c’est qu’on voit bien ».

« Avez-vous reçu de l’argent du général Diendéré pendant tout le temps que vous êtes resté avec lui ? » a voulu aussi savoir Alioun Zanré. « Je n’ai pas reçu d’argent du général. Mais j’ai reçu 50 000 francs des mains du sergent Mahamadi Zallé pour moi et mon équipe. C’était pour chercher à manger.»

Alors que la partie civile a plaidé le fait que le conducteur  « cautionnait le coup d’Etat », son avocat, aidé d’autres conseils de la défense, a essayé de démontrer que le caporal Saboué Massa n’a effectué que des tâches ordinaires tout le temps qu’a duré le putsch. Me Babou Bama dit même être convaincu que son client serait le premier sur la liste des accusés qui vont être acquittés par le tribunal.

A la suite de l’interrogatoire du caporal, c’est le sergent Mahamadi Zallé, 30 ans, qui s’est avancé face au tribunal, en tenue civile : le natif de Bokou dans le Yatenga purge déjà une peine de 15 ans d’emprisonnement ferme pour complot militaire dans l’affaire Madi Ouédraogo. Dans un français qui laisse beaucoup à désirer, ce père de deux enfants a rejeté toutes les accusations qui pèsent sur lui, de même que ses déclarations contenues dans les P-V. Les « Négatif », « Je ne m’en rappelle pas », « Je n’ai jamais dit ça » se sont multipliés.

Si on devait s’en tenir à ses explications à la barre, le 16 septembre, il était dans un poste de garde au palais de Koulouba. Il y aurait passé 5 jours avant d’être relevé. Suite à quoi, il s’est rendu au camp Naaba Koom II, où il a constaté que le quartier était consigné. Il a rejoint sa villa au sein du camp et n’a jamais, d’après lui, effectué de patrouille durant les événements. Une version qui est loin de celle contenue dans les P-V et que le parquet a pris plaisir à rappeler : il avait affirmé avoir dès le soir du 16 septembre regagné le camp Naaba Koom II pour se renseigner et avoir effectué une patrouille en compagnie du soldat Alexandre Yougbaré. Des propos que l’accusé réfute aujourd’hui. Le sergent a nié également avoir remis 50 000 francs CFA au caporal Saboué Massa. Son interrogatoire n’est pas allé loin puisque l’audience a été suspendue à 13h. A la reprise à 9h, le procureur militaire avait en effet annoncé une triste nouvelle, le décès de la mère du juge assesseur Ludovic Ouédraogo, et souhaité que l’audience soit suspendue à 13h pour permettre à ceux qui le souhaitent de participer aux obsèques. Le doyen des avocats, toutes parties confondues, Me Mamadou Sombié, a, au nom de l’ensemble de ses confrères, compati à la douleur de la famille éplorée et n’a pas présenté d’objection à cette requête. L’audience reprendra donc le vendredi 7 septembre 2018 à 9h avec la poursuite de l’interrogatoire au fond du sergent Mahamadi Zallé.

 

San Evariste Barro

Hugues Richard Sama

 

 

Encadré 1

Il cache sa tenue militaire sous la table du procureur

 

Ceux qui suivent ce procès savent que les histoires cocasses ne manquent jamais. Mais celle qui a eu lieu hier pendant l’interrogatoire du caporal Saboué Massa vaut la peine d’être racontée : relatant la fuite du soldat, le substitut du procureur, Sidi Bekaye Sawadogo, a informé que ce dernier, après avoir conduit le général Diendéré à la nonciature alors que ça tirait de partout, s’est réfugié dans une cour qui s’avère être la Cour d’appel de Ouagadougou. Mais ça, le caporal ne le saura qu’avec le juge d’instruction. Qui plus est, il a abandonné sa tenue militaire sous le siège du… procureur. La tenue portant son nom sera récupérée par les gendarmes. Pour le ministère public, c’était prémonitoire : « Dans le sauve-qui-peut, vous vous êtes retrouvé à la justice », a raillé Sidi Bekaye, déclenchant l’hilarité dans la salle. L’accusé, pour sauver quelque peu la face, a indiqué qu’il n’avait pas abandonné sa tenue, mais qu’elle était tombée de son sac. « Donc la tenue est tombée seule sous la table du parquet ? », assène le parquetier. Rires étouffés de l’assistance.

 

H.R.S.

 

Encadré 2

Diendéré satisfait de la plaidoirie d’un avocat

 

Des envolées de Me Babou Bama ont été la cause d’un incident hier pendant l’audience, avec au centre le général Gilbert Diendéré. Disant ne pas comprendre pourquoi son client était le seul des chauffeurs de l’éphémère président du CND à être poursuivi, Me Bama a estimé que celui-ci n’a fait que son devoir jusqu’au bout, malgré la dissolution de son régiment. Pour le conseil du caporal Saboué, « la dissolution du RSP n’est pas égale à la dissolution du général Diendéré. Il est toujours général et il va venir à la barre avec ses étoiles ». Des propos qui ont déclenché des applaudissements dans le box des accusés. Presque simultanément la principale figure du putsch a effectué comme un geste de satisfaction avant de se lever et de quitter la salle. Elle n’a fait que quelques secondes dehors mais à son retour, le président du tribunal, qui avait réclamé le calme, était en train d’annoncer une suspension de l’audience pour 10 minutes, le temps que la sérénité revienne dans la salle.

A la reprise, celui qui assure la police de l’audience a rappelé que la retenue dans l’expression des sentiments était de rigueur dans la salle. Pour Me Prosper Farama de la partie civile, le mal était déjà fait : ils ont vécu ces réactions de certains accusés comme une meurtrissure et un déni de ce qui s’est passé pendant le putsch. Me Sombié s’en est excusé, mais a indiqué que la défense n’avait pas de leçon de morale à recevoir de la  partie civile. « Ici, c’est le jeu des sentiments et des passions », a-t-il déclaré.

 

H.R.S.

Dernière modification lejeudi, 06 septembre 2018 20:55

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